L’engagement compétitif des jeunes longeurs entre 17 et 29 ans : Devenir le champion modèle

Cet article cherche à analyser dans quelles mesures l’absence d’un modèle de champion en longe côte (une activité émergente développée par la fédération française de la randonnée (FFR), favorise l’engagement des jeunes dans cette pratique qui regroupe majoritairement des personnes âgées de plus de 60 ans. Une analyse qualitative basée sur des entretiens semi-directifs (n=5) auprès de jeunes pratiquants ayant des caractéristiques et trajectoires différentes nous a permis de montrer que pour l’ensemble des jeunes interrogés, les facteurs classiques tels que l’influence des parents, mais aussi de façon plus inédite, des motifs liés à la santé sont les premiers motifs d’engagement des jeunes dans ce genre de pratique. À postériori, le désir de devenir un « modèle de champion » devient le moteur pour s’épanouir dans cette pratique.

Plusieurs études soulignent l’influence des parents sur la carrière compétitive des athlètes  et  dans  la  construction  de  la « vocation sportive » (Dale Huisner & Frensh, 1994; Coté, 1999; Durand-Bush & Salmela, 2002). Dans les travaux de Forté et Mennesson (2012) sur le milieu sportif d’élite, les auteures avancent l’idée que les athlètes ont tendance à s’approprier la même pratique que leurs parents, en mettant en exergue le rôle de la socialisation et les transmissions familiales dans le choix de la carrière sportive. Ainsi l’engagement des enfants dans un club sportif est souvent, au début, le fait des parents. Les enfants sont souvent en déplacement avec leurs parents, ce qui leur permet de les voir pratiquer, ou encore d’assister à des évènements sportifs ensemble. Ceci est susceptible de procurer chez les enfants une curiosité à l’égard des clubs de sport (Le Pogam, 1979; Delbecque, 1979; Louveau, 1980).

Bien que, le contexte culturel et social puisse avoir une influence sur l’engagement sportif, le sport pour les jeunes ne s’arrête pas à l’univers familial. Alderman (1978) et Alderman et Wood (1976), Lafabregue (2001), montrent que la réussite sportive est l’une des dimensions qui détermine fortement l’installation dans une activité ou l’abandon d’un sport. Selon Lemonnier (2013), cette réussite sportive est marquée souvent par l’identification des jeunes sportifs aux champions. Beaucoup de jeunes s’engagent sur les pistes d’athlétisme, les stades de football et les podiums par identification à leurs champions, considérés comme des modèles, source de l’excellence sportive. « Ces adolescents vont surinvestir le domaine sportif tant dans leurs lectures que dans leurs discussions, vivre par procuration la vie du champion » (Ibid,. 2013, p. 93).

D’ailleurs, le modèle sportif est souvent couronné par un podium (champion), accompagné d’une admiration et d’une attitude qui charme les admirateurs, car un champion ne devient un modèle pour les autres qu’à partir du moment où le public l’acclame, s’identifie et se reconnait en lui. « Le culte du champion est devenu, grâce aux moyens de communication de masse et la presse sportive, une véritable industrie » (Brohm, 1995, p. 112).

Mais qu’en est-il pour les sports émergents ? En effet, les études qui s’intéressent au développement de la vocation sportive ne donnent pas une idée précise sur la manière dont l’engagement compétitif des jeunes se construit dans les activités émergentes telles que le longe côte, pratique inventée en 2004, pratiquée en majorité par des séniors et qui ne fournit pas encore un modèle sportif de référence. De plus, les normes de la réussite sportive dans cette activité semblent différentes de celles connues dans les sports traditionnellement connus. Tout cela nous amène à poser les questions suivantes : Comment peut-on expliquer que des jeunes s’engagent dans la compétition en l’absence de figures de grands champions longeurs ? Comment les normes de réussite sportive se définissent-elles dans un sport dépourvu de modèle ? Comment les jeunes longeurs parviennent-ils à s’identifier à un modèle ? Vont-ils produire le modèle ? En quoi celui-ci se distinguerait-t-il de ceux déjà existants dans les sports traditionnels ?
Dans cet article, nous tenterons d’étudier ces questions, en mettent en exergue les raisons pour lesquelles les jeunes s’engagent dans la compétition en longe côte.

Le longe côte : apparition et perspectives

Le longe côte, discipline qui consiste à marcher en mer, immergé dans l’eau à hauteur de la poitrine et muni, ou non, d’une pagaie, fait son apparition sur les côtes de Dunkerque grâce à un entraineur d’aviron, Thomas Wallyn en 2005. Il pense, via cette activité, soulager ses athlètes subissant des entrainements intensifs et des déséquilibres musculaires. Il considère le longe côte comme étant un sport complémentaire et sans traumatisme puisqu’il s’exerce dans l’eau.

Cette activité rencontre rapidement un vif succès ; on observe de plus en plus de pratiquants de longe côte en dehors du cercle de l’aviron. L’association « les Sentiers Bleus » créée en 2009 avait comme objectif de participer à établir une cohérence dans les stratégies de développement des clubs proposant le longe côte. Ce premier élan de développement a abouti en 2012 à un accord avec la fédération française de la randonnée (FFR) souhaitant prendre l’activité à son compte. Depuis 2013, la gestion et le développement de la pratique est officiellement confiée par le Ministère des sports à la FFR. Ainsi, par définition, le longe côte est une randonnée aquatique d’où son autre nom « marche aquatique ». Sur le guide de la FFR2 est mentionné : « Nous sommes en présence d’une activité de marche […], à priori, elle est comprise dans la discipline randonnée pédestre ».

L’activité censée s’adresser aux athlètes de haut niveau essentiellement dans un cadre complémentaire, rencontre un fort engouement selon une enquête de la FFR (Venot, 2015). Aujourd’hui, on compte plus de 11 000 longeurs avec 120 clubs en France en 2019. L’activité est plutôt orientée vers un sport de santé et de bien- être avec un public essentiellement âgé, en raison notamment de son attachement à la FFR. En effet, selon Burlot et Lefèvre (2009), plus de la moitié des randonneurs appartient à la catégorie des « seniors » : soit 46 % des 50-64 ans et 52 % des 65 ans et plus. Ainsi le milieu de la randonnée a probablement une influence sur le profil des pratiquants de longe côte. Une enquête réalisée auprès de 600 pratiquants longeurs de l’Hérault en 2019, montre une majorité écrasante de la classe d’âge seniors : 68 % ont plus de 60 ans et 92 % ont plus de 50 ans. Ils sont 60 % à avoir découvert l’activité via leur club de randonnée pédestre (Ricciardi & Le Roux, 2019, p. 24).

En revanche, cette activité est peu pratiquée par des jeunes. La moyenne d’âge estimée des adhérents actuels au sein des clubs affiliés à la FFR étant de 60 ans (FFR, 2015). Ce qui explique la volonté des différents acteurs du milieu du longe côte de développer la pratique auprès des jeunes dans l’objectif de développer l’activité et de séduire de nouveaux publics. À ce propos, nous avons pu observer à l’occasion de notre stage en 2019*, que la majorité des jeunes rencontrés sont concentrés principalement dans deux clubs**. L’apparition des jeunes dans ces clubs s’avère intrinsèquement liée à la montée en puissance d’une approche compétitive. En effet, depuis la mise en place du championnat de France dédié à ce sport en 2015, une tranche d’âges variant entre 17 et 29 ans est apparue dans ce champ dans deux catégories : Junior (16-19 ans) et Senior (20-39 ans). Le nombre de pratiquants augmente modestement depuis l’organisation du premier championnat national ; 15 jeunes ont participé au 5e championnat de France de longe côte en 2019***. Cela se traduit également à l’international puisqu’une délégation de jeunes longeurs français a participé aux jeux méditerranéens de la plage à Patras en Grèce en août 2019. Cela peut nous amener à constater qu’il y a un lien entre l’engagement des jeunes en longe côte et l’approche compétitive dans cette pratique.

Engagement et réussite sportive

Comme nous l’avons déjà noté, l’engagement sportif ne dépend pas seulement du contexte familial, il est influencé par d’autres facteurs. Lafabergue explique que « Les dispositions sportives se construisent au fil des interactions que le jeune sujet établit avec autrui » (Ibid, 2001, p. 81). Il ajoute : « La pérennité d’une passion sportive est suspendue à la faculté qu’à chacun de satisfaire, au sein du club, son désir d’affirmation individuelle et de reconnaissance sociale selon deux logiques relationnelles distinctes : celle de la réussite sportive par la performance et celle de l’épanouissement personnel par la camaraderie » (Ibid.).

Il est alors possible de considérer que l’engagement et l’installation dans une pratique sont liés à des considérations « extra familiales » telle que la réussite sportive. D’ailleurs, la réussite sportive se manifeste souvent par le dépassement de soi et la réalisation de grandes performances. Selon Lemonnier, c’est le champion qui incarne la réussite sportive. « Perçu comme bourré de qualités emblématiques, le champion devient la référence de toute réussite sportive » (2013, p. 91). D’ailleurs, il est acté que le sportif de haut niveau représente le modèle sportif, en l’occurrence ici le champion, parce qu’il reflète la performance et le dépassement de soi par excellence. « Les athlètes de haut niveau cherchent à atteindre le modèle théorique parfait […], image suprême réalisant le geste parfait » (Brohm, 1995, p. 215). Ainsi, le modèle sportif est produit dans une interaction entre le sportif de haut niveau et le système dans lequel il évolue, appelée « la filière de haut niveau » (Brohm, 1995). Dès lors, le passage de l’athlète dans cette filière favorise l’acquisition des normes sportives d’excellence en construisant l’image de champion pour devenir la norme sportive.

Au-delà de la construction de carrières sportives, l’engagement dans le haut niveau exige un investissement « hautement contraignant » (Forté & Mennesson, 2012). Pour le sportif et son entourage, les contraintes sont énormes ; des entrainements quotidiens, des études à gérer à côté, l’éloignement familial, les blessures, les contre-performances, les déplacements, encaisser les compétitions à répétition, etc. Le rêve de monter sur le podium et de devenir champion demande un effort pendant des années de préparation et d’entrainement. Ainsi témoigne Champignoux (1992) : « tu dois vaincre dans la douleur », tel pourrait être l’adage qui préside aux affrontements sportifs de haut niveau. « Gagner facile » c’est « culpabilisant » pour l’athlète qui ne ressent pas la douleur et qui imagine ne pas être allé jusqu’au bout de ses possibilités. Il doit évoluer par rapport à ce qu’on pourrait appeler un « état limite » qu’il doit donner en spectacle, d’autant plus que cette façon d’être, l’aide à trouver un sens aux souffrances qu’il subit pour s’imposer. Quand il dit : « Je me défonce », il exprime en fait le plaisir qu’il ressent à la recherche de plus de souffrance pour progresser » (Champignoux, 1992, p. 109).

En revanche, le contexte du longe côte fait qu’un simple pratiquant peut devenir un champion de France. Chose constatée auprès de Yoann Coedel (35 ans) champion de France au titre de l’année 2017 dans la catégorie séniore. En effet, lors d’un entretien exploratoire Yoann Coedel m’a expliqué qu’il n’avait ni un parcours de sportif professionnel et ni dans le sport de haut niveau : Il déclare « En fait, je suis là par hasard ! » Le longe côte lui a donné un statut de champion qui est « très valorisant » ****.

De plus, cette activité ne présente encore de grandes traditions sportives comme on peut le voir dans le foot ou la natation, … il n’y a pas de grandes figures sportives de haut niveau qui la représentent, il n’y a pas de grands entraineurs longeurs non plus. Il apparaît ainsi que le champion modèle à suivre n’existe pas encore au sein du longe côte et que la réussite sportive dépend de normes différentes de celles connues dans d’autres sports.

Dans cette perspective, cet article tente d’analyser dans quelle mesure, c’est justement l’absence de modèle de champion dans cette activité sportive qui est susceptible d’influencer l’engagement des jeunes dans la compétition. On peut émettre l’hypothèse que les jeunes s’engageront notamment en espérant devenir eux-mêmes le « champion modèle ».

Terrain et enquête

L’enquête s’est intéressée aux jeunes longeurs sur l’ensemble du territoire français, elle s’est déroulée en 2019. Notre échantillon est basé sur plusieurs critères : l’âge, le sexe et le niveau de pratique.

Afin d’analyser les raisons de l’engagement de ces jeunes dans le longe côte, nous avons réalisé cinq entretiens semi-directifs avec des jeunes longeurs. Deux entretiens complémentaires ont été effectués avec deux jeunes sportifs de haut niveau en natation et catamaran. L’analyse de ces deux derniers a permis essentiellement de donner des repères comparatifs par rapport au longe côte, en sachant que ces disciplines ont une grande tradition compétitive avec des modèles universellement connus ; Michael Fred Phelps en natation, Billy Besson et Marie Riou en catamaran.

IDENTAgeSexeStatutPratiqueNiveau – titre
Tristan19HSans emploiLonge côteChampion de France
Adrien22HSalariéLonge côteChampion de France
Jeff18HÉtudiantLonge côteChampion de France
Blandine23FDiplômé en droitLonge côteChampionne de France
Liza25FÉtudianteLonge côtePremière participation dans le championnat de longe côte
Nadal19HÉtudiantCatamaranCompétition international
Sandra18FÉtudianteNatationHaut niveau
Tableau de présentation des enquêtés

Le guide d’entretien était organisé autour de quatre thématiques : l’expérience sportive avant le longe côte, le rapport au longe côte, le rapport à la compétition et le modèle de champion.

Les entretiens ont été menés entre le mois d’avril et le mois de juin de l’année 2019. Bien qu’ils aient été d’une grande richesse, le nombre de personnes interrogées reste assez restreint. Sur plusieurs milliers de longueurs sur l’hexagone, on compte en effet seulement une poignée de jeunes qui sont regroupés dans deux clubs situés en Provence-Alpes Côte d’Azur. Ceci a rendu certains entretiens difficiles à réaliser. La distance et l’éloignement sont devenus la principale limite dans la sélection des longeurs.

En effet, Lors de mon stage de master1, j’ai pu rencontrer différents acteurs de longe côte pendant un déplacement en région Provence- Alpes-Côte d’azur. J’ai eu l’occasion lors de ce déplacement de réaliser deux entretiens avec les jeunes du club Alison Wave. La rencontre n’était pas programmée d’avance. Deux autres entretiens avaient  été  effectués  grâce  à  la  messagerie instantanée Skype en raison de l’éloignement géographique. Ces deux personnes interrogées habitent respectivement en Bretagne et dans les Hauts de France, chose qui a rendu difficile la rencontre physique. Le reste des entretiens ont tous eu lieu à Montpellier.

D’une manière générale, le recours aux entretiens virtuels via le medium Skype est de plus en plus répandu dans les enquêtes sociologiques. Selon Anne-Sophie et Baptiste « Le développement d’internet depuis les années 1990 et son intégration rapide au quotidien de nombreux individus et espaces sociaux, rend cet outil incontournable à la conduite de bon nombre d’enquêtes en sciences sociales, quel que soit l’objet de ces recherches » (Anne-Sophie & Baptiste, 2012). Ainsi, il nous semble que cet outil ne représente pas un obstacle pour la réalisation d’entretiens dans les conditions les plus favorables.

Les entretiens même réduits en nombre, ont permis, de recueillir de nombreuses informations. Afin  de  pouvoir  les  disséquer  d’une  façon pertinente, nous avons utilisé une analyse catégorielle. « Par la catégorisation, nous obtenons une modalité pratique pour le traitement des données brutes » (Negura, 2006, p. 11).

Analyse de l’accès à la pratique longe

Dans tous les cas étudiés, les jeunes longeurs ont commencé par d’autres sports avant de se diriger vers le longe côte. L’analyse des entretiens a révélé que leur engagement dans des pratiques sportives avant le longe côte est plus ou moins irrégulier. Une seule personne est restée fidèle à sa pratique sportive durant 12 ans. Trois personnes au total ont changé ou arrêté leur principal sport à cause de problèmes de santé. Par exemple, Liza affirme :

« […], j’ai mis en arrêt le judo, je me suis faite opérée voilà […]. Pour l’aspect de santé par rapport à mon genou […] voilà pourquoi le longe côte »« […], en fait j’avais des problèmes de dos et comme j’ai arrêté le rugby[…], ces douleurs je ne les avais pas quand j’ai commencé le longe-côte »

L’accès à la pratique du longe côte s’est fait également de différentes façons, en effet, trois personnes ont été directement influencées par leur entourage familial (mère, grand-père, sœur, frère). Jeff nous confie :

« Au tout début c’est papi qui faisait le longe côte, il est devenu président du club. […]. Il m’disait ben tu as qu’essayer c’est un sport prometteur, et c’est comme ça que je me suis mis petit à petit voilà ! »

La plupart des parents des enquêtés sont eux- mêmes des champions. Au total, trois parents dans le longe côte (mère, grand-père) et également une mère championne en natation pour la quatrième personne. De façon remarquable, la cinquième personne évoque, comme source de motivation, la maladie de sa mère et le fait qu’elle ait pu y faire face « grâce au longe côte » Adrien :

« […], c’est ma mère qui m’inspirait mais c’est par rapport à son histoire, son passé avec le sport, de sortir de la maladie… ».

On retrouve donc d’une manière récurrente des motifs de santé qui influencent le choix de cette activité. Trois personnes témoignent que les problèmes de santé ont modifié leurs trajectoires sportives au profit du longe côte. Curieusement, les raisons de santé ont aussi influencé l’accès de leurs parents à la même pratique. Sur les cinq entretiens, trois jeunes confirment que leurs parents (mère, grand-père) ont choisi le longe côte pour des raisons de santé. Il semble ainsi, qu’opter pour longe côte est essentiellement expliqué par la survenue d’une pathologie. Mais, pourquoi ces jeunes s’engagent-ils dans la compétition et qu’en retirent-ils ?

Aussitôt longeur aussitôt champion

Le rapport à la compétition pour les jeunes longeurs est particulièrement singulier. En effet, ce qui a attiré notre attention en premier lieu, c’est de constater que sur les cinq personnes interrogées, quatre sont déjà des champions de France alors qu’ils n’ont débuté le longe côte que depuis 2015. Il semblerait que cette dimension est un facteur clé pour la suite de notre analyse. Plus curieux encore, les quatre champions longeurs affirment que leur première participation au championnat de France s’est achevée par un podium de première place. Blandine déclare : « […] parce que cette année-là [2015] j’ai terminé championne de France ». De même Jeff raconte :

« oui exactement, double champion dès ma première compète, oui ! ».

De fait, la plupart des jeunes rencontrés sont bel et bien les premiers champions de l’histoire du longe côte dans leurs catégories. Blandine nous confirme :

« Ouille, mais c’est vrai au niveau national je suis la seule oui ! ».

A partir de nos données retenues des entretiens avec les deux jeunes sportifs de haut niveau en natation et catamaran nous pouvons conclure que l’engagement compétitif dans d’autres sports demande un tel investissement (organisation minutieuse)  que  cela  les  a  conduits  jusqu’à l’isolement du monde extérieur. Par exemple Sandra a déclaré́ :

« […], je ne sors pas, je ne connais personne […] Avant je dois penser natation, école, natation, que des entrainements».

De même pour Nadal :

« […], dans le pôle […] il y a énormément de sacrifices […], en fait tu as très peu d’amis, or le cercle de voile tu fais très peu de fêtes … ».

En revanche, l’engagement en longe côte ne demande ni un investissement « hautement contraignant », ni un effort pendant des années ; ce qui peut encourager les pratiquants à s’engager dans les compétitions. Tristan et Blandine affirment :

« On n’a pas pu s’entrainer du tout avant le championnat de France, on n’a pas pu du tout s’entrainer[…], l’après-midi le 1000 m, on le gagne (rire) donc vraiment c’était une grosse surprise ! je regarde quatre fois le truc, ah c’est bon ! nous sommes les premiers. »

« Finalement nous étions présents dans le championnat de France mais on allait totalement au hasard, nous n’étions pas préparés. »

Donc, nous distinguons deux visions de la compétition, la vision compétitive traditionnelle qui demande un investissement « fortement contraignant » dans laquelle l’engagement devient presque une vocation, un style de vie qui inflige une organisation minutieuse de tous les aspects de vie du sportif. A contrario, pour les longeurs, l’engagement dans la compétition et même devenir champion n’implique pas, pour le moment, les mêmes contraintes.

Vers la construction du modèle longeur

Le constat est unanime sur le fait qu’il n’existe pas un modèle longeur. Or ce qui est observable dans les réponses des enquêtés c’est qu’après coup ils parlent des personnes qui les inspirent sans autant parler d’un modèle sportif spécifique. Pour André, par exemple :

« Eh bien, moi personnellement ben je ne te cache pas, moi personnellement personne, il n’y a personne, peut-être ma mère juste ma mère qui m’inspire mais c’est par rapport à son histoire son passé avec le sport, de sortir de la maladie voilà tout ça. »

Tristan et Blandine abordent le sujet d’une manière assez semblable du fait qu’il est en évolution :

« […], sur le longe côte c’est assez récent, on n’a pas de modèle parce qu’on n’a pas encore de mondial, on n’a pas encore de jeux olympiques, de stars planétaires, voilà… »

En considérant le longe côte comme une activité nouvelle, les enquêtés adhérent à l’idée qu’il n’existe pas un modèle longeur. Liza va jusqu’à l’évoquer avec une sorte de moquerie en estimant qu’il est trop tôt pour parler de ça :

« Non pas du tout alors là, dans le longe côte un modèle non (rire) genre au contraire c’est un sport en évolution ».

On entend des discours des longeurs interrogés que pour devenir un modèle il faut passer par la reconnaissance internationale en décrochant des victoires ; objectif recherché par la plupart de nos interlocuteurs. Pour Tristan :

« Un modèle humm, après ouille, si j’arrive à faire un truc à l’international ! ».

Adrien déclare dans la même veine :

« Mon objectif est clair et net qu’il sera inscrit dans les jeux olympiques ! Donc dans un premier temps, il est inscrit dans les jeux de la méditerranée de plage qui se passe à Patras et l’idéal qu’il sera un sport olympique quoi. »

Quant à Tristan, il pense que :

« L’objectif ultime c’est d’arriver aux jeux olympiques, si un jour je vois le longe côte dans les jeux olympiques et les parcours sont toujours les mêmes humm j’étais la base quoi ! ».

Ce manque du modèle pourrait être le moteur pour la continuité des jeunes dans la compétition longe côte, cela est sous-entendu dans leurs discours :

Jeff nous confie :

« […] les jeux de méditerranée de l’édition prochaine j’aurai 22 ans il me semble et je pourrais peut-être aller chercher un titre. […] avec le développement de longe côte je pourrais développer une carrière, […] être champion de France en catégorie sénior et dans plusieurs catégories. »

Blandine affiche son désir de devenir un modèle à suivre :

« Ouille, enfin un modèle ouille mais disons il y a des gens qui me suivent ! […] je veux bien être reconnue comme une grande sportive de cette discipline-là. […] mais j’ai envie moi d’inspirer d’autres personnes comme moi par exemple qui ont peur d’être dans d’autres sports malgré le fait de leurs physiques comme elles sont, ils se disent ouille dans ce sport là on peut y arriver. »

Pour Adrien le désir d’être le champion modèle est plus affiché :

« Quand j’ai commencé à faire de la compétition pour le longe côte je vous disais c’était bien pour moi parce que ça me permet de dire voilà j’ai fait le meilleur temps c’est vachement valorisant. […], je gagne le championnat de Tunisie sur une épreuve, je finis champion sur le podium sur toutes les épreuves. Et donc j’étais très content de moi et j’ai continué à m’investir. »

Pour Liza l’absence du modèle est motivante pour développer la pratique

« Oui, j’ai hâte que ça se développe, j’ai hâte qu’il y ait vraiment du haut niveau […] »

De plus, le fait d’être champion plusieurs fois pour la plupart d’entre eux, anime leur envie d’aller plus loin, Blandine l’exprime ainsi :

« Bien c’est sûr, au fur à mesure on commencera à avoir des objectifs voilà, quand on savait qu’on va rester avec des podiums qui sont relativement bien, on veut comme tout sportif aller aux jeux olympiques. »

En somme, à partir des résultats obtenus dans l’étude présente. Nous pouvons dégager trois dimensions qui caractérisent l’engagement des jeunes longeurs : L’entrer dans la pratique s’est faite principalement en s’identifiant aux parents pratiquant la même activité et également en raison de problèmes de santé. L’engagement compétitif, quant à lui, ne nécessite pas beaucoup d’investissement. L’absence de modèle longeur a fait que l’engagement va au-delà de la réussite sportive marquée par un championnat vers un désir de devenir un modèle longeur.

Dans les lignes suivantes nous allons tenter de mettre en évidence ces résultats en s’appuyant sur les connaissances disposées en la matière.

Discussion sur un nouveau profil de champion

Il semblerait que l’influence des parents joue un rôle crucial dans le choix de la pratique. C’est ce qu’affirment les travaux de Bourdieu (1979, 1980) et Pociello (1981) qui démontrent l’importance du milieu et de l’origine sociale dans l’influence sur le choix des pratiques sportives chez les individus. On peut citer aussi le constat fait par Baxter-Jones et Maffulli (2003) selon lequel les parents jouent successivement un rôle d’introducteurs et un rôle de soutien.

De même pour les sports compétitifs, la relation parents-athlètes a un rôle prépondérant dans la carrière sportive selon les travaux de Durand-Bush & Salmela (2002) et Benchehida (2018). Par ailleurs, il se trouve que certains enquêtés sont engagés d’une façon délibérée. Selon Lafabregue (2001), l’engagement est déterminé par des événements intérieurs et extérieurs au milieu sportif qui peuvent amener le sportif à modifier ses trajectoires sportives. On peut donc supposer que l’engagement dans le longe côte repose fortement sur les conditions physiques et serait renforcé par l’intervention des parents faisant la même pratique.

Comme déjà évoqué, la plupart des jeunes interrogés sont bel et bien des champions dans le longe côte mais pas seulement, ils se positionnent comme des champions pionniers dans ce sport. C’est-à-dire qu’il n’y a pas eu de champion avant eux, quelqu’un à qui on peut s’identifier, comme Brohm (1992) le précise :« le champion est le meilleur, il est la référence absolue (…) c’est le modèle à atteindre, il est l’avant garde sportive. » (Ibid,.1992, p.341).

On peut donc dire que l’engagement compétitif des jeunes longeurs marqué par un statut de champion coïncide avec ce manque de modèle champion longueur. Pour Bandura (1965), le modèle est la source d’information, il est déjà préétabli (un modèle réel ou bien symbolique). Ce dernier, va permettre d’atteindre un but ou bien construire une représentation du but (Winnykammen, 1982, p. 25). A ce stade, on peut considérer que les jeunes champions pionniers sont en train de construire un modèle identificatoire puisqu’il n’existe pas. Si on applique le même postulat sur la réussite sportive, on pourrait dire que la réussite sportive et le champion font partie d’un processus d’interaction par lequel la réussite sportive produit un modèle et se produit à travers lui. Ainsi, le sportif participe à la construction des normes sportives définies par l’institution à laquelle il appartient en étant un modèle de champion de référence. Alors, on peut conclure que le champion est un produit pensé par le sportif dans le but de construire un modèle sportif qui incarne la réussite sportive en étant un modèle à suivre pour les individus. En même temps, il pourrait élaborer de nouvelles normes « dépasser le modèle » pour en produire un autre. « Le producteur est lui-même son propre produit »

(Morain, 1990, p. 100). Il est alors possible d’envisager que le sportif à l’image du champion construit le modèle identificatoire. En d’autres termes, l’engagement dans une carrière sportive se fait en grande partie par l’identification à un modèle incarné par « le champion ». En revenant à ce qu’évoque Bandura (1965), nous sommes bien devant un processus de construction du modèle en longe côte.

D’autre part, selon Lemonnier (2013), la compétition symbolise l’idée que toute performance doit être et sera améliorée et que le champion entretient une relation particulière à la douleur et au temps en forte concordance avec le modèle capitaliste proposé (Ibid., 2013, p. 94). Cette logique compétitive entre contrainte et souffrance pour gagner est partagée et admise par les sportifs, en l’occurrence ici par nos deux sportifs (la nageuse et le plaisancier) : « c’est dans la douleur que tu progresses »( Nadal). Le système sportif par la mise en place de la filière de haut niveau, symbole d’excellence sportif, est basé sur la production d’une élite. Le champion est celui qui s’investit corps et âme, il doit être performant et infaillible. C’est ainsi que le modèle à l’image du champion se construit. On pourrait donc penser que le champion, en incorporant les normes posées par le système ou l’institution, se construit en suivant le modèle pour ensuite l’incarner. En revanche, le longe côte sort de cette logique. D’après Rouanet, « Le sport permet de développer les sensations, tolérant ainsi de pousser un peu plus les limites du corps » (2013., p. 135). Les jeunes longeurs vont plutôt adhérer à cette logique apparemment suffisante pour réaliser une victoire vécue comme une expérience très positive alors qu’elle est rejetée par l’ensemble des sportifs de haut niveau « Gagner facile c’est culpabilisant » (Champignoux, 1992).

Or, dans le cas du longe côte, la pratique compétitive n’est pas vécue par les personnes interrogées sur le mode de la contrainte. D’ailleurs, pour la plupart, le longe côte est en pleine évolution par rapport à d’autres pratiques bien ancrées dans le système sportif traditionnel. On constate même parfois une absence totale de préparation. Il semblerait que le longe côte est décalé des modalités traditionnelles du modèle du champion. Il offre aux jeunes un nouveau profil de champion. Nous sommes donc en présence d’une réussite sportive non contraignante. Le jeune champion est indéniablement valorisé par son club et son entourage. Dès lors, dans un sport, où l’âge avancé règne, le jeune longueur joue le rôle de champion qui apparaît comme l’exemple, le médiateur d’une image jeune du longe côte.

Il est alors possible d’admettre que le stéréotype de champion basé sur l’idée : « tu dois vaincre dans la douleur », « souffrir pour gagner », n’apparaît pas encore dans le milieu du longe côte. Le champion semble pour ces jeunes un modèle accessible pour tous. Le longeur se réalise en tant que champion et construit le modèle à son image loin du modèle validé par le système sportif traditionnel. Être les premiers champions longeurs pour la plupart d’entre eux leur confère une légitimité qui va leur permettre de construire au fur et à mesure le modèle. Parmi les cinq sujets interrogés, quatre se réclament comme des modèles à condition qu’ils arrivent à réaliser d’autres exploits sportifs. La porte est donc ouverte aux jeunes qui ont peut-être abandonné ou arrêté leurs sports à cause de problèmes de santé, mais aussi aux jeunes qui n’arriveront pas à percer dans un sport « hautement contraignant ». Le longe côte a permis de réaliser des exploits inimaginables auparavant. Ainsi, on peut penser que le jeune champion longeur est en mesure d’envisager une carrière fulgurante dans le longe côte.

Conclusion

La présente étude a permis de mieux comprendre les raisons pour lesquelles des jeunes s’engagent dans la pratique du longe côte, activité émergente qui regroupe principalement des personnes âgées de plus de 60 ans. Cette dernière a été réalisée dans des conditions très particulières, notamment la difficulté de trouver des jeunes pratiquants pour effectuer des entretiens en face à face. De plus, la rareté de la littérature sur cette activité fait défaut. Toutefois, cette étude nous a permis de montrer l’existence d’un nouveau modèle sportif qui est en train de s’installer en longe côte.

Ces résultats montrent que la majorité des jeunes longeurs interrogés sont des champions pionniers dans le longe côte, dont certains parviennent même à une réussite sportive malgré leurs problèmes de santé. Il semblerait ainsi que l’absence d’un modèle préétabli les a poussés à construire un modèle à leur image et pourquoi pas, un modèle identificatoire. Cependant, le désir de construire un modèle n’est pas clairement affiché. En effet, le fait d’être champion sans trop de contraintes, sans une grande condition physique sembleraient être des facteurs dominants dans le maintien de l’engagement compétitif des jeunes dans le longe côte. À travers les discours des jeunes que nous avons interviewés, il apparaît que cette volonté de construire un modèle de longeur existe. La nécessité de poursuivre l’engagement compétitif et de participer à la construction de ce modèle est perçue chez la plupart de nos enquêtés.

L’installation d’un championnat depuis quelques années a offert la possibilité à ces jeunes de se réaliser comme des champions en s’éloignant du stéréotype du modèle de champion posé par le système sportif (de haut niveau) comme référence. Ainsi, le jeune longeur transforme l’adage de la réussite sportive entre « souffrance et contrainte » au profit d’une « réussite facile à remporter » et qui permettrait l’engagement de tous.

En outre, il serait important de souligner le rôle primordial du facteur santé dans ce choix de pratique ; ce rôle nous parait important à étudier dans le but de savoir comment la santé pourrait devenir un facteur attractif dans le développement de cette activité sportive ? Cette question pourrait être examinée en perspective dans des recherches à venir.

Bibliographie

Brohm, J. (1992). Sociologie politique de sport. Presses university de Nancy.

Anne-Sophie , B., & Baptiste , B. (2012). Internet et la méthode ethnographique : l’utilisation des messageries instantanées dans le cadre d’une enquête de terrain. Genèses.

Bandura, A. (1965). Influence of models’ reinforcement contingencies on the acquisition of imitative responses. Journal of Personality and Social Psychology, 6, 589 -595.

Baxter-Jones, A., & Maffulli , N. (2003). Parental influence on sport participation in elite young athletes. J Sports Med Phys Fitness .

Benchehida, A. (2018). Investissement et Influence des parents dans le choix et la Réussite de leurs enfants en sport. HAL Id: hal-01728109.

Bordieu, P. (1980). Le capitale sociale. Act de la recherche en sciences sociale . Bourdieu, P. (1979). La distinction. Critique sociale du jugement.

Brohm, J. (1995). Critique de la modernité sportive : Quel corps. La passion.

Burlot , F., & Lefévre, B. (2009). Le sport et les seniors : des pratiques spécifiques. Retraite et société, 133- 158.

Champignoux, F. (1992). La victoire en souffrance. Le corps surnaturé en science et conscience. Social Science .

Coté, J. (1999). The influance of the family int the developement of talent in sport. The sport psy chologist, 13, 395-417.

Dale Huisner, L., & Frensh, K. (1994). Futur directions for researsh on expertise in learning performance and instruction in sport and physical activity. Quest , 46, 241-246.

Delbecque, C. (1979). Approche du problème de m’accenssion à la paratique sportive chez les jeunes.

Travaux et recherches en E.P.S, 5, 107-112.

Durand-Bush, N., & Salmela, J. (2002). The developement and maintenace of Expert Athletic Performance of World and Olympic Champions. Journal of Appleid Sport Psychology , 14, 154-171.

Forté, L., & Mennesson, C. (2012). Réussite athlétique et héritage sportif. Sociologies, Théories et recherche, 1-27.

Lafbergue, C. (2001). La dynamique de la pratique sportive des jeunes. Sport et activit é physique : vie personnelle, sociale et économique, 24, 81-109.

Le Pogam, P.-Y. (1979). Démocratisation du sport : mythe ou réalité ? Paris: J.P Delarge.

Lemonnier, J.-M. (2013). Jeunesse et sport dans les années soixante. Les valeurs de la compétition en question. Les Sciences de l’éducation – Pour l’Ètre nouvelle , 83-103.

Louveau, C. (1980). Le rôle de la famille dans la genèse des goût sportifs. Thése de doctorat en sociologie. (U. d. VII, Éd.) Paris .

Morain, E. (1990). Introduction à la pensée complexe. ESF Editeur.

Negura, L. (2006). L’analyse de continu dans l’étude des reprrésentations sociales. Sociologie Pratique, 1 – 16.

Negura, L. (s.d.). L’analyse de continu dans l’étude des reprrésentations sociales. Sociologie Pratique, 1 – 16.

Pociello, C. (1981). La force, l’inergie, la grâce et les reflexes. les jeux complexe des dispositions culturelles et sportives. Sport est société, approche socioculturelle des pratiques, 171 -237.

Ricciardi , E., & Le Roux, N. (2019). Longe côte /Marche aquatique : Etude préalable pour le dévloppement de l’activité. Fédération française de la rondonnée pédéstre, Comité Départemental Randonnée Pédestre Hérault, Montpellier.

Rouanet, S. (2013). Dans la peau d’un athlète. A. Colis.

Winnykammen, F. (1982). L’apprentissage par l’observation . Reuvue française de pédagogie , 24-29.


* Stage effectué à la Direction départementale de la cohésion sociale de
l’Hérault dans le cadre d’une étude préalable pour le développement de
l’activité du longe côte 2018.

** Club Alison Wave à Mandelieu, région Paca, nombre des jeunes longeurs
= 5. Club Hyères, région Paca n = 2.

*** Classement général 100m solo au championnat de France de longe côte en
2019, https://my.raceresult.com/129671/results?lang=fr#1_80F50A

**** Propos de « Yoann Coedel ,35ans. Champion de France de longe côte 2017 » lors d’un entretien avec lui dans le cadre de mon mémoire en 2019 (Achouri, 2019).