Le team building en entreprise évolution postmoderne entre sport et GRH1*

Cet article cherche comprendre comment se structure l’offre de team building et quels étaient les principaux facteurs qui l’influencent. Nous avons d’abord identifié des changements de valeurs associées au sport et dans son utilisation dans la société postmoderne. Nous avons réalisé quatre entretiens semi-directifs auprès de professionnels d’une entreprise prestataire d’activités de team building. Les résultats de cette enquête qualitative montrent que le team building semble suivre les tendances associées au sport postmoderne. Ainsi, la recherche de plaisir, le ludique, et le bien-être apparaissent comme des notions centrales dans l’offre de team building. Les changements dans la gestion des ressources humaines et notamment le management participatif semblent aussi contribuer à l’évolution du team building, en termes de formes et d’objectifs. On y retrouve une volonté d’impliquer les salariés, de créer du lien entre eux grâce à des activités collaboratives qui auront pour but de les fédérer.


Le team building est une pratique qui s’articule autour de différentes composantes : l’entreprise, le sport, et  la  gestion  des  ressources humaines. Il est donc influencé par l’évolution de ces différentes dimensions et les interactions qui ont lieu entre celles- ci.

Pour en donner une définition, d’après Vernazobres (2012), le team-building est une pratique qui s’apparente à du coaching : il s’agit plus particulièrement d’accompagnement collectif. Il s’appuie sur la définition du Syntec Conseil établie en 2006 : « un concentré dans un court laps de temps et utilisé de manière ponctuelle […] pour construire une dynamique d’équipe performante ».

Or, le team building a subi de nombreuses mutations depuis son apparition et ses toutes premières formes. Initialement, le sport en entreprise s’est démocratisé après la Seconde Guerre Mondiale : il était essentiellement corporatif et porté par l’implication des comités d’entreprise. Puis, pendant les années 1980, le sport en entreprise évolue et prend la forme de compétitions sportives qui se déroulent inter et intra- entreprises telles que le Cross du Figaro, le Challenge du Lys ou encore le Cross des Violettes à Toulouse (Barbusse, 2009).

Dans le même temps, on voit peu à peu émerger des activités sportives qui elles, se pratiquent hors compétition : c’est dans cette logique que le stage outdoor apparaît comme première forme d’événementiel sportif et de pratique non-compétitive dans l’entreprise. Mêlant les valeurs du défi, de l’extrême et de l’aventure, ces stages sont rapidement critiqués dans les années 1990 et assimilés à un moyen sournois d’évaluer les salariés et de les sélectionner en portant atteinte à leur intégrité physique et psychologique (Julien Pierre et Tribou, 2013). On assiste alors à l’émergence de nouveaux termes, largement utilisés aujourd’hui et à vocation plus promotionnelle : l’incentive et le team-building (Burlot et Pichot, 2004).

Par ailleurs, au-delà de la pratique sportive et de sa place au sein de l’organisation, le fonctionnement interne des entreprises s’est vu lui aussi modifié. En effet, si l’on regarde en arrière, l’ère moderne mettait l’individu au centre de la société et du travail notamment pour satisfaire des exigences de performance (division du travail, objectifs individuels). Pourtant, l’individualisme ne semble aujourd’hui plus correspondre aux nouveaux modes de fonctionnement des entreprises et aux nouvelles relations humaines (Lacan, 2016).

On voit émerger peu à peu des nouvelles pratiques managériales qui s’appuient sur une modification des relations hiérarchiques et des rapports interpersonnels chez les ouvriers. On utilise ainsi le terme « participatif » dans les nouvelles méthodes de gestion et d’exercice de l’autorité (Ehrenberg, 1999). Sous l’angle de la postmodernité, le management est assimilé à la capacité des managers à s’adapter à leur équipe, en bricolant avec leurs outils afin d’améliorer une situation, de satisfaire les intérêts de tous et d’assurer la performance de l’entreprise (Lacan, 2016). Par ailleurs, les pratiques managériales de la période moderne sont aujourd’hui désuètes du fait du l’abandon du mythe du progrès dans la conscience des individus (Ibid.). Il ne s’agit plus de réussir sa carrière à tout prix afin de réussir sa vie. Les sacrifices et les efforts exigés au travail en vue d’une progression dans l’entreprise ne semblent plus  suffire  à  l’épanouissement  des salariés. C’est ainsi que depuis les années 2000, on voit apparaître une nouvelle préoccupation pour les dirigeants d’entreprise, celle du bien-être au travail. Nous retrouvons ici la notion d’hédonisme, centrale dans la postmodernité, jusque dans le milieu professionnel. Cela se traduit d’une part par des changements dans les relations hiérarchiques (on se dirige davantage vers une relation horizontale, de pair à pair), et d’autre part, par l’adoption d’une posture de manager axée sur la bienveillance, l’écoute et la compréhension de ses collaborateurs (Ibid.). Le souci de la qualité de vie au travail va donc s’avérer fondamental dans la postmodernité et le team building, en faisant vivre une expérience émotionnelle commune à un groupe de salariés, pourrait participer à améliorer la collaboration des membres de l’entreprise et à créer des logiques d’appartenance. En effet, afin qu’une personne se sente appartenir à un ensemble, à un collectif, la dimension communautaire ne peut survenir d’elle- même, elle doit être organisée. Lacan (2016) identifie donc le manager comme responsable de l’animation de son équipe. Dans la postmodernité, le manager-animateur doit lui-même créer les conditions de la coopération des membres de son équipe, par exemple grâce à la réalisation d’une œuvre commune réalisée dans le souci de chacun (Ibid.). Ici, nous pouvons penser au team building et à ses activités collaboratives où l’implication et les compétences de chacun seraient nécessaires à l’accomplissement d’un but commun.

Pour notre étude, il est aussi question d’envisager le team building au regard des modes de GRH actuelles, marqués par les valeurs postmodernes. L’une d’entre elles se traduit notamment par la recherche de « la réalisation de soi et l’épanouissement personnel dans l’instant et le présent vécus dans toute [son] intensité » (Maffesoli, 2011, p.14). Le team building pourrait être assimilé à un groupe sociétal dans lequel les participants sont reliés par des liens émotionnels et des expériences communes. Au regard de la postmodernité, le destin éphémère auquel les personnes sont soumises ensemble importe davantage que l’histoire que l’on écrit contractuellement avec les autres (Lacan, 2016). Nous pouvons ici faire un parallèle avec notre objet d’étude, le team building, puisqu’il prend notamment la forme d’une activité choisie en amont par le manager, à laquelle un groupe de collaborateurs est soumis, pour une durée déterminée ; le plus souvent de quelques heures. Il serait ici question d’observer si ces notions de vécu partagé, d’expériences et d’émotions ressenties sont pleinement intégrées dans les offres de team building commercialisées.

Le team building, en tant qu’outil de management qui rassemble des individus pour leur fait vivre des expériences, pourrait ainsi se retrouver influencé par les valeurs postmodernes (collaboration, hédonisme, émotion, expérience). Il y a donc ici un véritable enjeu pour les professionnels du secteur qui cherchent à proposer des programmes dont la forme et le contenu répondent tant aux goûts sportifs actuels, qu’aux formes de GRH et de management prépondérant aujourd’hui.

Cet article cherche à expliquer comment les évolutions de la pratique sportive et des pratiques de gestion des ressources humaines, qui tendent vers la postmodernité, participent à la structuration de l’offre de team building. D’un côté, on observe des transformations de la pratique sportive et une intégration du sport différente, plus postmoderne dans les offres de séjours de team building. Puis, nous verrons en quoi

les pratiques de management des ressources humaines se sont transformées depuis les années 1990 et comment elles influencent également la construction des programmes de team building.

Méthodologie

Nous nous sommes placés du point de vue des professionnels du team building et nous avons réalisé quatre entretiens semi-directifs avec quatre salariés d’une entreprise prestataire de team building. Les interviewés n’ayant pas souhaité garder l’anonymat, nous les désignerons par leur prénom. L’enjeu était de récolter les points de vue de ces salariés qui occupent tous un poste différent dans l’entreprise : attachée commerciale (Maéva), chef de projet (Adrien), chargée de communication (Sarah) et responsable commercial (Massimo). De cette manière, nous avons pu interroger ceux qui conçoivent, vendent, animent et communiquent les programmes team building de la société interrogée.

Nous avons choisi d’interroger Maéva car elle est celle qui a le plus d’ancienneté au sein du groupe. De cette manière, elle a une idée précise des changements qui se sont produits dans les demandes des clients qu’elle démarche régulièrement. Par ailleurs, elle est également présente sur le terrain puisqu’elle anime les team building le jour de leur réalisation. Cela nous permet donc d’avoir une vision précise de la réalisation des activités le jour J et de la manière dont cela se concrétise : émotions, retours clients, ressentis. Adrien, chef de projet, a participé à la création de plusieurs programmes team building que la société a ensuite inclus dans son catalogue et commercialisé auprès des clients. Il est donc important de l’interroger afin de comprendre comment il conçoit les activités de team building et les personnalise en fonction des attentes de ses clients. Nous avons ensuite choisi de nous entretenir avec Sarah, chargée de communication. Elle est en veille concurrentielle permanente afin de comprendre les exigences du marché et les nouveautés attendues en termes d’activités de team building. Nous avons pu comprendre ce qui, selon elle, participe à séduire le client, à le convaincre de choisir un certain programme de team building et quelles utilisations du team building et du sport sont attendues aujourd’hui en entreprise. Enfin, Massimo, responsable commercial était un sujet intéressant car confronté à une clientèle plus « haut de gamme » de « luxe ». Il nous semblait intéressant de voir si les tendances de programmes team building collaboratifs, aux dominantes ludiques et récréatives s’appliquaient aussi à ce type de clientèle.

La méthode d’entretien retenue dans cette recherche est celle de l’entretien semi-directif. En effet, il apparaissait important de structurer la récolte de données, tout en donnant un cadre souple à l’enquêté notamment par le biais du guide d’entretien utilisé. Il s’agissait pour nous d’emmener les interviewé(e)s sur les grands thèmes relatifs à notre étude avec des questions ouvertes, et les laisser produire un discours pour récolter les données les plus riches possible.

L’objectif était de mettre en lumière les changements qui ont fait évoluer le team building, tant dans sa forme, ses objectifs, ses valeurs et enfin, dans ses utilisations. Notre guide d’entretien comportait 3 grands thèmes : Le team building en général (définition, formes, objectifs, valeurs), le comportement des clients (type d’activité souhaitée, notion d’expérience, ressentis) et les team building proposés spécifiquement par le prestataire (ceux qui ont le plus de succès, forces, faiblesses, tendances actuelles). Notons qu’ayant déjà travaillé au côté de tous les interviewés, la relation de confiance avec les enquêtés était déjà établie avant la prise de contact. Les entretiens se sont déroulés soit en présentiel, dans un lieu choisi par l’interviewé(e), soit par visioconférence (pour l’un des sujets). Concernant la durée, les entretiens ont duré de 26 minutes à 1h00, dépendamment du temps que chacun a pu nous accorder. Sarah, était la plus pressée et nous a accordé un entretien Skype lors de sa pause déjeuner, c’est pourquoi l’échange n’a pas pu aller au-delà de 26 minutes.

Dans le cadre de notre étude, nous avons choisi de réaliser une analyse thématique par réduction des données. Grâce à l’enregistrement de chaque entretien avec dictaphone, nous avons pu retranscrire intégralement les données récoltées. À partir du verbatim, nous avons fait émerger 3 thèmes qui regroupent les propos recueillis : les programmes de team building et leurs spécificités, les valeurs postmodernes qui lui sont associés (émotions, expériences, collaboration) et les valeurs du sport moderne (compétition, challenge). Les données qualitatives obtenues apportent une meilleure compréhension de la structuration de l’offre de team building et les changements qui ont eu lieu d’après nos interrogé(e)s. Les valeurs de la postmodernité ainsi que l’évolution des méthodes de management en entreprises nous ont permis de mieux saisir les enjeux de cet outil de GRH.

Le team building influencé par les mutations de la pratique sportive

Le sport postmoderne : une recherche d’émotions, de sensations, d’expériences

Le sport en entreprise a tout d’abord évolué suivant le modèle du passage d’une société moderne à des valeurs dites « postmodernes ». Ainsi, ce sont les valeurs hédonistes du bien-être, de l’accomplissement de soi, et le goût des loisirs qui semblent être au centre de notre  société          démocratique postmoderne (Roederer et Filser, 2015). Le sport n’est ainsi plus une pratique compétitive mais doit, avant tout, satisfaire une recherche hédoniste où se mêlent jeu et plaisir (Lacassagne et al., 2006).

La   littérature   identifie   le   sport « moderne » : centré sur la recherche de performance, de challenge et de victoire, comme étant en inadéquation avec les préoccupations et les attentes des publics à la fin des années 1970. Les besoins de l’individu dans la forme postmoderne sont associés à des notions de ludisme, d’émotions, de sensations (Corneloup, 2011). Les professionnels des stages de team building conçoivent et commercialisent aujourd’hui davantage de programmes qui procurent du plaisir, de l’amusement, sans contraintes. Maéva nous dira d’ailleurs : « on veut aller vers autre chose, des activités plus fun et plaisir ». « Tu as des team building, et plutôt maintenant, plutôt orientés plaisir, fun, ludique, où on va les faire participer à un moment convivial, qu’ils n’auront pas l’habitude de vivre autrement. » précisera Massimo, responsable commercial. On retrouve ici d’ailleurs un aspect qui caractérise le sport postmoderne : l’accès rapide à des sensations, une pratique complète en autonomie avec de faibles contraintes, s’opposant ainsi à l’offre fédérale (Gaubert, 2012) prédominante dans la société moderne. Les entreprises spécialisées en team building semblent donc suivre ces tendances en proposant des activités « originales, ludiques, fun » qui garantiront aux collaborateurs de passer un bon moment. L’ensemble de nos sujets, qu’ils soient : responsables de la conception des programmes team building, de leur commercialisation, de leur communication ou de leur animation lors des événements, disent créer des programmes basés sur le plaisir et le ludique. « C’est vrai qu’on nous demande aussi des activités sans trop de contraintes, avec cet aspect ils veulent s’amuser et prendre du plaisir. En open c’est donc en libre accès, toujours avec un fil rouge, mais en libre accès » nous dira   Adrien,   Chef   de   projet.

« Aujourd’hui, on a de plus en plus de demandes d’activités sans notion de challenge pour rassembler les équipes, les récompenser et juste partager un moment détente et plaisir » ajoutera Sarah, chargé de communication.

Dans la postmodernité, le sport est un moyen de vivre une multitude d’expériences corporelles, spatio- temporelles et sociales par « des pratiques dîtes hédonistes, ludiques, esthétiques et individuelles » (Lacassagne et al., 2004, p.99). Nos entretiens montrent que ces notions sont fondamentales pour les professionnels du team building qui appuient alors largement leurs réflexions et la conception des programmes autour de l’expérience. « Tu rentres du team building, tu dis à ton gamin : papa il a mangé un scorpion ou ils se prennent un fou rire en jouant au babyfoot géant typiquement […] ils se prennent en photo devant, c’est un truc immense, il fait 8 mètres quoi, c’est des choses marquantes quoi » révèlera Adrien, chef de projet. Mais aussi « Hors du commun ça peut par exemple être tout simplement un séminaire dans un lieu emblématique… La dernière fois qu’on a fait un séminaire pour eux qui était hors du commun, c’était par exemple tu partais de Marseille pour aller sur l’île Degbay parce que c’est un lieu magique que tu privatises, et donc c’est ça, c’est le lieu en principe qui est hors du commun » (Maéva, attachée commerciale).

D’après la littérature de la consommation expérientielle, le consommateur « chercherait ainsi à faire des expériences d’immersion dans des cadres thématisés plutôt qu’à simplement rencontrer des produits finis » (Cova et Cova, 2004, p.5). Cette caractéristique est revenue à de nombreuses reprises dans les propos de nos interrogés qui soulignent l’importance de l’expérience vécue lors d’un team building. Cela peut par exemple se traduire par le lieu de réalisation de l’activité : l’environnement naturel, des paysages exceptionnels, l’immersion dans un univers particulier. Le terme d’univers renvoie à l’ensemble des décors, des animations, des accessoires, utilisés lors d’une activité de team building afin de « plonger les clients dans un univers », avec l’utilisation de thématiques fortes. Les qualités d’animateurs sur le terrain lors des journées team building participent également à la création de cet univers. En effet, l’un des interrogé souligne l’importance de « l’humain » dans la capacité à faire vivre une expérience au client : il se rappellera alors surtout de la personne qui lui a fait vivre son activité team building, et du moment vécu grâce à elle.

De plus, il s’agit de s’interroger sur le rapport à la compétition. Pour les auteurs, le sport loisir, bien que vecteur de bien- être, de plaisir, et d’émotions pour les individus n’est, dans la société française pas nécessairement détaché de la compétition qui suppose alors une dimension plus hédoniste. Ainsi, nous pouvons relever que « dans sa partie postmoderne, le sport intègre l’entraînement et la compétition comme source de plaisir et de détente » (Lacassage et al., 2004, p.106). De même, comme évoqué par nos sujets, les participants d’un team building peuvent eux-mêmes se mettre en compétition dans certains cas. On note alors qu’en présence d’un groupe de commerciaux d’une même société, l’aspect compétition va prendre le dessus sur la volonté de s’amuser. Ici, l’enjeu est de remporter l’épreuve ou de gagner le plus de points à l’issue de la journée. En présence de ce public particulier, les programmes de team building vont comporter une remise des prix à l’issue de l’activité, matérialisée par un podium et un lot pour l’équipe victorieuse.

On constate ainsi que les évolutions des offres de team building en termes de formes et de valeurs associées peuvent se rapprocher de ce qui s’est passé avec le sport lui-même. L’offre serait donc majoritairement construite autour des valeurs postmodernes de plaisir, de ludique et d’expérience ; mais celle-ci reste difficile à homogénéiser pour tous les types de clients et toutes les situations. Ainsi, l’évolution de la manière de pratiquer le sport seule, ne suffit pas à expliquer l’étendue de ce que l’on trouve sur le marché du team building aujourd’hui.

L’utilisation du sport en entreprise et ses valeurs

D’après la littérature, les entreprises intégreraient le sport pour répondre à de multiples objectifs. À travers la pratique sportive, les entreprises chercheraient d’abord à ce que les salariés s’adaptent à l’environnement compétitif de l’entreprise, sa cadence et son organisation. De cette manière, à travers la compétition sportive et l’atteinte de la performance, les managers cherchent à préparer « la compétition économique » (Barbusse, 2002, p.20). De son côté, Pierre (2011) met en lumière les valeurs inspirées de l’aspect compétitif du sport à savoir : le dépassement de soi, le dévouement, l’abnégation ou encore le courage, qui tendent toutes à inciter les collaborateurs à un meilleur rendement, à une meilleure performance. Ainsi, nous pouvons citer les propos d’un dirigeant d’entreprise qu’il reprend dans un de ses travaux : « dans le mois qui suit [une activité de team building],  les  équipes  parviennent  à dépasser leurs objectifs de 50 % » (Pierre, 2011, p.49). Il y aurait donc là un lien évident entre le team building vécu et la productivité des salariés de retour dans l’entreprise.

Pourtant, nous avons vu précédemment qu’un certain changement s’était opéré dans les valeurs associées au sport : la victoire, le classement et la hiérarchie (Corneloup, 2011) sont des notions associées aux sports traditionnels modernes. D’un autre côté, le sport postmoderne se voudrait lui, plus proche des notions de loisir et de plaisir. Au regard de notre étude, il est intéressant de noter que ce changement semble aussi s’appliquer au team building et à l’utilisation qui en est faite par les managers. Le sport est ici à envisager comme un outil de cohésion : les collaborateurs seraient ainsi davantage impliqués et plus dynamisés mentalement et physiquement (Barbusse, 2002). D’après les résultats de notre enquête, et selon les propos de nos interrogé(e)s, les organisations définissent aujourd’hui majoritairement le team building comme un moyen de fédérer leurs collaborateurs, les faire se rencontrer et créer du lien. Nous sommes donc là en présence d’enjeux inédits, que le sport moderne compétitif mettait de côté jusqu’ici. « Ce qu’ils attendent du team building, c’est pour ça c’est toujours le seul mot qui revient, c’est vraiment de recréer du lien […] fédérer les équipes, rassembler les collaborateurs » (Maéva, attachée commerciale). D’ailleurs, les prestataires de team building sont parfois eux-mêmes acteurs de cette cohésion en « créant eux-mêmes les équipes ». Cela a notamment pour effet de mélanger tous les individus et de favoriser le partage et les interactions entre tous les membres.

On reconnaît au sport sa capacité à motiver les salariés dans leur travail en leur offrant des activités sportives de performance comme récompense (Pierre et al., 2010). Au cours de notre enquête, si les sujets ont abordé ces activités de récompense pour motiver les salariés, elles constituaient toutes des activités sans notion de challenge ou de performance. Ils parlent d’activités ludiques qui avaient pour vocation de faire plaisir et récompenser les salariés méritants. On observe dans le sport une source de motivation dont on a aussi recours dans les teams building, mais sous des formes différentes, avec la recherche de plaisir et d’amusement que l’on reconnait dans la postmodernité. Prenons comme exemple les propos d’un de nos interrogé : « Pour le côté plus incentive, on offre aux collaborateurs des balades en catamaran, ou des balades en kayak mais c’est plus de la mise à disposition d’activités où tu n’as pas du tout de notion de challenge », selon Maéva, attaché commerciale. Un second sujet confirme cette idée quand il est en présence d’une activité de récompense pour les meilleurs commerciaux d’une société. Adrien, chef de projet précisera :

« On est dans une notion plus d’incentive dans ce cas-là, et là on va partir sur peut être une découverte du littoral en catamaran avec un petit barbecue dessus, un open bar. » Ici encore, si ces activités ont pour objectif de motiver davantage ces commerciaux, elles ne semblent basées que sur la détente et le loisir.

Notre enquête a ainsi montré que les programmes de team building étaient construits sur des modèles d’activités collaboratives, dans lesquelles chaque individu est amené à participer. Les offreurs créent des programmes qui n’invitent pas à un gain de points ou à la domination d’une équipe de salariés sur une autre, mais plutôt des activités de réflexion, de construction, où chacun devra s’investir pour parvenir à un but final commun, avec l’ensemble de son équipe. Ainsi d’après Massimo, responsable commercial, « […] un team building plutôt de type 100 personnes, chacun travaille sur une partie du parcours, et à la fin on lie tous les ateliers entre eux, et ça fait un événement participatif qui crée du lien avec tout le monde. Cette notion-là de challenge par équipe est de moins en moins présente, à la faveur justement de travail collaboratif sur une partie d’un projet commun. » Mais aussi « on a de plus en plus de briefings qui vont dans le sens de la collaboration et plus du challenge […] on va de plus en plus souvent nous demander de ne pas faire ça en confrontation, mais en collaboration […] Le but du jeu c’est qu’ils tendent vers un objectif commun » (Adrien, chef de projets).

Pour mieux saisir les différences entre un programme de team building basé sur la confrontation en équipe et un qui aurait une vocation plus collaborative, nous pouvons étudier deux fiches produits issues du book commercial du prestataire. Le premier programme « Les aventuriers d’Anahita », (cf. illustration 1), se déroule sur une demi-journée et est placé dans la catégorie sport et aventure. Les salariés sont alors repartis en équipe et s’affrontent sur différents jeux (adresse, force, rapidité, stratégie), afin de remporter le plus de points. Le team building est clôturé par une finale qui oppose les trois meilleures équipes, une médaille et un prix est décerné à l’équipe victorieuse. On retrouve donc ici les valeurs associées au sport moderne, le challenge et la mise en compétition.

Illustration 1 : fiche produit programme sport et aventure. Catalogue Duprat Concept Antenne sud 2019

Le second programme : la « Building Party » (cf. illustration 2), s’articule autour de plusieurs pôles d’activités, sur lesquels les équipes de collaborateurs choisissent de se rendre en fonction de leurs compétences. Il y a également différentes sortes de jeux mais l’objectif est de récolter un maximum de kaplas (plutôt que des points) pour construire la tour la plus haute en fin d’activité. Chacun est donc responsable de l’atteinte de l’objectif commun et les équipes ne s’affrontent pas directement entre elles. Les participants reçoivent tous une médaille ou un prix choisi par l’entreprise à la fin du team building. L’idée est de ne rien imposer aux participants : ils choisissent à quelles activités ils veulent prendre part et doivent mettre à profit les atouts de chacun pour accomplir l’objectif.

Illustration 2 : fiche produit programme de construction et de création. Catalogue Duprat Concept Antenne sud 2019

En dehors des valeurs associées à la pratique sportive et des effets attendus par celle-ci, d’autres résultats ont permis d’alimenter notre étude et d’améliorer la compréhension du team building.

Modalités de gestion des ressources humaines et team building

Un management plus participatif

La pratique sportive en entreprise a tout d’abord servi à atteindre des objectifs managériaux en réponse à des enjeux économiques, sociaux et psychologiques émergents. On peut par exemple prendre le cas du recours majoritaire au fonctionnement en équipes de travail dans les entreprises depuis les années 1990 (Egley et al., 2005). Tous les individus qui composent une équipe ont des âges, des cultures professionnelles, des valeurs différentes, et sont contraints d’interagir dans un espace bien précis : le milieu professionnel. Il y a donc un risque important que se développent des conflits (Brunet, 2006).

On voit ici la nécessité de repenser les méthodes de management traditionnelles. C’est l’émergence du management participatif et l’abandon progressif de la discipline comme moyen principal utilisé pour diriger les salariés et les conduire à l’efficacité (Ehrenberg, 1999). L’idée est de « transformer les travailleurs en entrepreneurs de leurs propres tâches » (Ehrenberg, 1999, p.224) au profit de l’implication et d’une plus grande autonomie. « Le management participatif, comme méthode de gestion et mode d’exercice de l’autorité est le registre sur lequel se focalisent aujourd’hui les préoccupations des managers » (Ibid., p.223). On peut envisager les programmes de team building comme une traduction de cette forme de management participatif. En effet, ils proposent une source de motivation différente pour les salariés en les rendant acteurs de l’activité. À titre d’exemple, les sujets reprennent le cas d’un public de commerciaux qui participent  à  une  balade  en  méhari électrique ou en catamaran. Il s’agit là d’activités que l’entreprise étudiée intègre dans son offre commerciale destinée à sa clientèle d’affaire. Ici, ces activités ont pour objectif de motiver les meilleurs commerciaux de la société, en les récompensant sans qu’il n’y ait de notion de challenge intégrée. Ils vivront une activité entièrement basée sur la détente et le loisir, mais ces temps hors du quotidien professionnel pourront participer à la motivation des collaborateurs qui se seront vu offrir l’activité en question. Dans ce contexte, le team building et le sport sont considérés comme des moyens de faire accepter l’imprévisibilité dans la distraction et une réponse à la recherche d’efficacité économique et de motivation du personnel (Ibid.). Pour un des professionnels du secteur interrogé (Adrien), la motivation issue du team building vécu reste liée à des objectifs de rendement « si on peut allier détente à des notions de performance de groupe, pour les managers c’est toujours tout bénéf ».

Le management participatif qui introduit la logique de la responsabilité, en mettant de côté celle de l’obéissance des modèles de gestion antérieurs, est facilité par le sport et les valeurs qu’il véhicule (Barbusse, 2002). Les team building pourraient donc être conçus pour favoriser le partage de valeurs entre l’entreprise et les salariés, ainsi que pour leur créer une expérience et un vécu commun. Or, le sport est lui-même pourvoyeur de valeurs telles que : la cohésion, le collectif, l’esprit d’équipe, la solidarité, l’intégration (Pierre, 2011). L’utilisation du sport semble donc un bon moyen pour manager les individus dans une société nouvelle et leur transmettre ce que l’entreprise veut qu’ils intègrent au plus profond d’eux même. À ce titre, nous avons mentionné plus haut la création de lien entre les collaborateurs, la  dimension  fédératrice  des  team building, et sa capacité à améliorer la cohésion entre les individus : des dimensions qui ont été soulevées par tous nos interrogés. Le team-building semble alors pertinent pour développer un sentiment d’appartenance à l’entreprise.

Les nouveaux modes de management, et notamment l’introduction du management participatif, influencent le marché du team building et l’offre qui y est proposée. Les programmes de team building se doivent d’intégrer ces nouveaux enjeux en proposant des activités de détente et de plaisir, qui auront une capacité à motiver les salariés, à les faire adhérer à une vision, et plus généralement à la culture de l’entreprise. Les collaborateurs se sentant plus proches de leurs managers et de leur organisation, ils seront plus impliqués et motivés dans leurs tâches.

L’attention portée au bien-être des salariés

Depuis la théorie des Relations Humaines de Mayo (1939), il est admis qu’un employé qui se sent considéré par son entreprise et qui ressent de sa part un sentiment affectif, serait plus efficace dans son travail, car plus satisfait. Les salariés apparaissent donc maintenant plus réceptifs à une logique basée sur les sentiments que sur la recherche d’une rentabilité économique, toujours plus importante, et sans intérêt pour leur satisfaction ou leur motivation.

Notre société postmoderne est connue pour porter atteinte à la forme physique (troubles musculo-squelettiques, maladies cardiovasculaires) et des troubles mentaux comme le sentiment de stress, d’angoisse et des risques de « burn out » (Barbusse, 2002).

La question du bien-être est aussi amenée par la société postmoderne dans laquelle, à travers le sport, on recherche un équilibre physique et mental (Lacassagne et al., 2006). Cette notion permet également à l’entreprise de se montrer soucieuse de ses salariés et de leur bien-être.

Massimo, responsable commercial précisera « Je remarque une évolution autour du bien être en entreprise, organiser des sessions de yoga, de réveil en douceur, de massage peut être, ces valeurs-là en fait, pour ma part deviennent tendances. » Sarah, chargée de communication soulignera « Les valeurs partagées et la relations entre les collaborateurs sont des éléments importants pour le bien-être de leurs salariés et leur investissement au sein de l’entreprise. »

Pour l’entreprise, c’est aussi un moyen efficace pour minimiser l’absentéisme et la fatigue du personnel s’avérant alors contre-productifs (Barbusse, 2002) et qui pourraient découler de ces pathologies. Les changements subis par la société et les nouvelles méthodes managériales, notamment le management participatif, qui met en lumière les sentiments des salariés et leur satisfaction, ainsi que les bienfaits du sport (vecteur de valeurs, d’adhésion, de bien-être) ; font du management par le team building un nouvel outil performant qui se démocratise de plus en plus parmi les pratiques de GRH. Ces nouvelles préoccupations participent grandement à la structuration de l’offre de team building.

Conclusion

Notre enquête a permis de rendre compte de certaines évolutions du team building. Ces dernières seraient elles- mêmes induites par les changements des valeurs associées au sport. On remarque une montée des loisirs, une recherche de plaisir ludique qui semble se retrouver dans notre terrain d’étude. Les notions d’expérience et d’émotions sont elles aussi importantes dans l’activité de team building puisqu’elle peut permettre aux salariés de se créer un vécu commun et de tisser des liens qui persisteront de retour dans l’entreprise. Avec la postmodernité, le team building semble donc subir les mêmes changements que le sport et ainsi se détacher de la recherche de performance et de mise en compétition, pour aller vers des activités ludiques basées sur le plaisir. De plus, les émotions vécues ensemble, dans un présent et en un lieu donné (par exemple lors d’une journée team building), prédominent dans la postmodernité.

En plus d’un changement dans l’utilisation du sport et de ses valeurs, la postmodernité voit ainsi apparaitre de nouvelles méthodes de management. On parle alors de manager-animateur, responsable de la coopération des membres de son équipe par exemple grâce à l’accomplissement d’une œuvre commune (Lacan, 2016). Le terme de « collaboration » est d’ailleurs revenu plusieurs fois dans les propos des professionnels qui relèvent dans les demandes clients des team building permettant aux participants de s’impliquer afin d’aller vers un « projet commun » (Massimo), « un objectif commun » (Adrien). Le management en entreprise est également influencé par l’importance accordée au bien-être. Il semble que les entreprises commencent à comprendre que les collaborateurs désirent prendre soin d’eux et souhaitent contribuer par leurs pratiques, à leur épanouissement dans la sphère professionnelle (Lacan, 2016).

Concernant les formes de team building d’aujourd’hui, notre étude propose la piste d’activités plus « collaboratives », qui permettent de vivre des expériences et des émotions ; à l’image de l’évolution de la pratique sportive vers des valeurs plus hédonistes, de plaisir et de bien-être. De cette manière, nous pensons à des activités qui favorisent les échanges entre les individus, les discussions, et où les compétences de chacun sont indispensables pour atteindre un objectif commun. À partir de notre étude, les programmes de création, de construction, avec des ateliers multi- activités en libre accès semblent en accord avec les tendances postmodernes. Sous cette forme, le team building permettrait de répondre à une préoccupation  importante  des managers : rassembler les collaborateurs et améliorer leurs relations au sein de leur entreprise.

Pour finir, à partir de cette enquête, nous pourrions envisager une nouvelle piste de recherche. Concernant les formes de team building d’aujourd’hui, notre étude propose la piste d’activités plus « collaboratives », qui permettent de vivre des expériences et des émotions ; à l’image de l’évolution de la pratique sportive vers des valeurs plus hédonistes, de plaisir et de bien-être. De cette manière, nous pensons à des activités qui favorisent les échanges entre les individus, les discussions, et où les compétences de chacun sont indispensables pour atteindre un objectif commun. À partir de notre étude, les programmes de création, de construction, avec des ateliers multi- activités en libre accès semblent en accord avec les tendances postmodernes. Sous cette forme, le team building permettrait de répondre à une préoccupation importante des managers : rassembler les collaborateurs et améliorer leurs relations au sein de leur entreprise.

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* Gestion des Ressources Humaines.