Les stratégies d’adaptation et les modes de gouvernances des stations de moyenne montagne face au réchauffement climatique : l’exemple des montagnes du Jura à travers les stations des Rousses et de Métabief Mont d’Or

Le domaine du tourisme sportif est en constante mutation, transformation, innovation. Les stations de montagne font face à un nouvel enjeu : l’adaptation face au changement climatique. Ce phénomène est devenu plus que préoccupant aujourd’hui pour les stations de moyenne montagne. Les enjeux des activités liées à la neige sont pris très au sérieux. Des états-généraux sur la transition du tourisme en montagne ont été lancés le 16 mars 2021 lors d’un colloque à Métabief Mont d’Or. Notre article s’inscrit pleinement dans cette actualité. Grâce à des entretiens semi-directifs réalisés au sein de deux stations du massif jurassien (Métabief Mont d’Or et les Rousses), nous allons montrer en quoi le mode de gouvernance d’une station de moyenne montagne, agit sur une stratégie d’adaptation face au réchauffement climatique. Notre analyse comparative montre l’effet de deux modèles de gouvernance face au phénomène étudié.

Le changement climatique a pour conséquence directe un enneigement insuffisant sur la plupart des massifs français. Un certain nombre de stations a déjà fermé pour raison économique en lien avec le manque de neige en France : « au total ce sont 166 sur 583 (28,4%) des stations de ski en France qui sont abandonnées » (Métral, 2019, p.1). Cette diminution de l’enneigement a débuté dans les années 70, avec une augmentation de la température en France métropolitaine de 1°C au 20e siècle selon Météo France1. Celle-ci va s’accentuer d’après les scientifiques. Ils estiment que « l’augmentation de la température moyenne à la surface du globe, d’ici l’an 2100, va se situer entre 1 et 6 °C » (Kandel, 2010, p.2). On observe que le phénomène du réchauffement climatique impacte l’intégralité des massifs et d’autant plus les massifs de moyennes montagnes plus basses en altitude, dont le massif jurassien, notre terrain d’étude. Les stations de moyenne montagne sont très sensibles aux enjeux climatiques. En effet, des observations du massif du Vercors, où les enjeux climatiques sont similaires à ceux du Jura, montrent une forte diminution de la neige sur ces massifs. Ces observations reposent sur le projet AdaMont (adaptation des territoires de montagne au changement climatique) : « les projections climatiques de fine échelle réalisées par Météo-France à l’échelle du Vercors dans le cadre du projet AdaMont, vont dans le sens des observations et mettent en avant une diminution sensible du rapport neige/pluie à moyen et long terme » (François et al., 2019, p.7). Ces observations se confirment sur le massif jurassien d’après une étude menée en Franche-Comté. « Les hivers sont moins longs : deux mois d’enneigement à 900 m aujourd’hui contre 2,5 mois au début du siècle dernier » (Richard, 2018, p.1). Ces chiffres confirment des saisons hivernales de plus en plus courtes.

De plus, les observations du projet AdaMont montrent que le modèle économique actuel basé sur le ski alpin est remis en question. Les stations de moyenne montagne sont dans l’obligation de repenser complètement leurs offres touristiques et d’envisager de nouvelles stratégies de développement, afin de trouver une alternative aux activités liées à la neige.

Certaines stations ont déjà enclenché des projets de transition, comme la station de moyenne montagne de Métabief Mont d’Or située dans le Doubs (25) sur le massif jurassien. La station met en œuvre une stratégie de transition climatique avec un objectif clair : arrêter les activités liées à la neige d’ici 2030-2035. Cependant, ce n’est pas le cas pour toutes les stations de ce massif. À 50 kilomètres de là, la station des Rousses (39) entreprend une stratégie de développement d’activités quatre saisons. La stratégie de la station est de garder un volet important des activités liées à la neige.

Ce constat de départ est issu de l’analyse d’entretiens semi-directifs réalisés avec les acteurs de chaque station en 2021, dans le cadre de notre mémoire de master 1 (Buin, 2021). Ce dernier se confirme avec les actions territoriales actuelles menées par celles-ci.

Les deux orientations des stations sont issues des choix stratégiques dictés par les acteurs politiques de celles- ci. Dans cet article, nous centrerons notre travail sur la gouvernance et les modes de gestion des stations de ski de moyenne montagne. Cette analyse va nous permettre de comprendre les choix stratégiques d’adaptation propres à un mode de gouvernance.

Le contexte des stations de moyenne montagne, plus particulièrement celui du massif jurassien nous amène à poser la problématique suivante : quels sont les liens entre les stratégies menées et les modes de gouvernances des stations de moyenne montagne, dans un contexte d’adaptation face aux changements climatiques ?

Nous allons tenter de comprendre les choix stratégiques complexes, des stations des Rousses et de Métabief Mont d’Or : garder le modèle économique actuel du ski tout en se diversifiant ou repenser un nouveau modèle économique sans l’activité du ski.

Les différents types de gouvernance et stratégies d’adaptations

Les différents types de gouvernance et stratégies d’adaptations

Tout d’abord, « la gouvernance s’inscrit dans une quête permanente de meilleurs systèmes de gestion des hommes et des ressources » (Defarges, 2011, p.7). L’auteur poursuit que la gouvernance est un lieu de pouvoir d’un individu ou d’un groupe entre différents acteurs (entreprise, état, organisation …) du territoire où la décision résulte d’une négociation permanente entre tous ses acteurs. Autrement dit, la gouvernance qu’elle soit de nature publique ou privée, vise à organiser un territoire face aux problématiques auxquelles il fait face grâce à ses ressources (humaines, financière, techniques …).

Il existe différents modèles de gouvernance et en ce sens, Jaccard et al. (2016, p.90) identifient une typologie d’acteurs en fonction de leur mode de gestion. La première est la gestion « privée », lorsque la commune délègue la gestion du service des remontées mécaniques à un opérateur privé. L’acteur est privé. La deuxième est la gestion « publique », lorsque la commune assure le service des remontées mécaniques en direct (régie ou EPIC). L’acteur est public. La dernière est la gestion « mixte », lorsque l’entreprise confie la gestion à une SEM (société d’économie mixte) dont la majorité du capital est détenue par la commune. Les acteurs sont publics et privés.

Nous verrons dans notre analyse que chaque gouvernance s’intègre à une gouvernance mixte. D’où l’intérêt d’approfondir l’analyse de cette gouvernance en intégrant les trois types de partenariats que Svensson et al. (2005) identifient dans le tableau ci- dessous.

Tableau 1 : les 3 types de partenariats

(Svensson et al. 2005, p.32-37)

En parallèle des trois types de gouvernance, deux grands modèles de gestion existent selon Jaccard et al (2016, p.90). Le premier est le community model où les services sont décentralisés. Chaque acteur est spécialisé dans son service et aucun pouvoir de domination n’existe. Le second est le corporate model. Les services sont intégrés (type entreprise) et la logique de profit est développée.

Deux modiles d’adaptation stratigique face aux changements climatiques


Le changement climatique impose aux stations de moyenne montagne des stratégies d’adaptation. D’après Simonet (2016, p.2) et Anouk (2019, p.3), deux grands modèles d’adaptation existent. Le premier, « ajustement », vise le maintien économique des sports d’hiver en garantissant la présence de la neige sur le territoire. Ce modèle a pour objectif de rééquilibrer les besoins en termes d’infrastructure et d’aménagement, pour pallier l’insuffisance de l’enneigement. Tandis que le second, « transformationnel », vise une diversification de l’offre en fonction de l’évolution climatique. Ce dernier modèle a pour objectif de redéfinir les stratégies touristiques du territoire. Les activités liées à la neige ne sont plus les priorités.

Un territoire dépendant des enjeux économiques

Les enjeux économiques sont au cœur des prises de décisions des stratégies politiques. D’autant plus lorsque le secteur en question est une activité motrice du territoire. En reprenant la genèse des stations de ski, on s’aperçoit que celles-ci se sont créées et développées sur un modèle purement économique. L’objectif était clair : tirer profit de l’activité du ski alpin, grâce au tourisme de masse : « la création des stations de sports d’hiver et d’alpinisme s’est inscrite dans une logique de consommation de masse » (Debarbieux, 1995, p.68).

Aujourd’hui, ce modèle s’avère d’autant plus fragile qu’on observe de façon croissante, une diminution du nombre de jours d’ouverture des domaines skiables partout en France, impactant la rentabilité de ces derniers. L’économie des stations de moyenne montagne est très largement dépendante, encore aujourd’hui, des activités hivernales. Nous pouvons le constater avec la station de Métabief Mont d’Or qui réalise plus des ¾ de son chiffre d’affaires durant la saison hivernale (Buin, 2021).

Néanmoins, l’activité liée au ski alpin reste très rentable lorsque les conditions le permettent (niveau d’enneigement suffisant). D’où la complexité à laquelle doivent faire face les stations de ski aujourd’hui :

  • Continuer sur un modèle économique qui fonctionne très bien, avec des profits à court terme, sans connaître son avenir sur le long terme ;
  • Enclencher dès maintenant une transition et un changement du modèle économique, qui assure un avenir sur le long terme.

C’est tout l’enjeu des stations de ski de moyenne montagne aujourd’hui, et ce sont les orientations politiques qui sont au cœur des prises de décisions. Ce sont elles qui vont ainsi choisir et dicter les stratégies face aux évolutions climatiques, pour une pérennisation de la station et de son territoire dans le temps.

La notion de territoire est très importante. Selon Zimmermann (1998), le concept d’ancrage territorial répond à un « processus d’apprentissage collectif localisé dans le but de générer des ressources ». En effet, « les processus d’ancrage territorial demandent, comme condition nécessaire au succès, que les acteurs locaux développent des stratégies collectives qui mènent à assurer leur survie économique, sociale et institutionnelle » (Cañada & Muchnik, 2011, p.4). Cet ancrage territorial concerne directement la gouvernance de la station, car son impact (notamment économique) ne se mesure pas à l’échelle de la station, mais bien sûr, à son territoire, son environnement et ses acteurs.

L’objectif de notre analyse est de lier mode de gouvernance, types de partenariats et modèle de gestion de nos deux stations de moyenne montagne jurassienne, à l’une des stratégies d’adaptation. Les notions de territoire et d’économie articuleront cette analyse.

Méthodologie

Notre approche scientifique s’appuie sur le recueil de données qualitatives. Nous avons réalisé quatre entretiens semi-directifs, dont deux en présentiel et deux par téléphone, d’une durée moyenne de 45 minutes chacun.

Ces entretiens ont été menés grâce à l’élaboration d’une grille d’entretien abordant différentes thématiques : la présentation générale de la station et de l’interviewé, le territoire et son ancrage, la gouvernance et les enjeux. Le terrain d’étude de notre enquête se limite au territoire des montagnes du Jura et plus particulièrement de la station de Métabief Mont d’Or (25) et des Rousses (39).

Nous avons pu interviewer les directeurs de chaque station : le directeur du syndicat mixte du Mont d’Or (Dir. SMMO) et le directeur marketing de la Société Anonyme d’Économie Mixte (SAEM) de la Société de gestion de la station des Rousses (Dir. Sogestar). Nous avons également interrogé deux représentants des communautés de communes : le président de la communauté de communes des Lacs et Montagnes du Haut-Doubs (Elu. CCLMHD), dont dépend la station de Métabief Mont d’Or, et celui de la Station des Rousses (Elu. CCSR).

Par ailleurs notre démarche s’est trouvée alimentée et complétée par la participation à des espaces de réflexion, de dialogue et de concertation. Effectivement, nous avons participé en visioconférence à un colloque européen, dédié à l’impact du changement climatique sur les stations de ski (16 et 17 mars 2021 à Métabief Mont d’Or), et à une conférence, consacrée au tourisme de montagne en transition (4 octobre 2021), animée par le Directeur du SMMO (interviewé). Les informations collectées font preuves de données qualitatives par le biais d’interview d’expert sur le sujet.

Notre méthodologie de recherche, par le biais d’entretiens menés au sein des deux stations, intègre clairement une démarche comparative. En effet, l’objectif est de comparer ces deux stations afin de trouver des similitudes et/ou des différences en lien avec notre objet de recherche. Le choix d’interviewer un acteur de même poste dans chacune des deux stations, appuie cette démarche comparative.

Des ancrages territoriaux nuancés

Deux stations avec des enjeux économique différents

Les enjeux économiques des deux stations étudiées sont différents. Tout d’abord, la dépendance au ski est beaucoup plus faible aux Rousses qu’à Métabief Mont d’Or. La station des Rousses réalise 70% de son chiffre d’affaires en hiver : « je pense que la SAEM doit faire un chiffre d’affaires de 6,5 millions d’euros. Schématiquement 4,5 millions d’euros l’hiver et 2 millions l’été » (Elu. CCSR). Tandis que la station de Métabief Mont d’Or réalise 86% de son chiffre d’affaires en hiver : « en moyenne, la station est excédentaire, soit 3 300 000€ en hiver et 500 000€ en été » (Dir. SMMO). Cela montre qu’en cas de forte diminution de neige, les Rousses possèdent des recettes « hors neige » quatre fois plus importantes que celles de Métabief Mont d’Or. C’est pourquoi Métabief Mont d’Or, en retard vis-à-vis de ses activités « hors neige », doit imaginer un nouveau modèle économique.

En plus d’enregistrer deux fois moins de retombées économiques que les Rousses, Métabief Mont d’Or accuse un retard d’une dette à hauteur de 15 millions d’euros (Dir. SMMO). Tandis que les Rousses ne possèdent aucune dette. La station peut se permettre de continuer à maintenir le ski et prolonger la saison de ski. De nombreux investissements sont consacrés pour de nouvelles infrastructures comme des canons à neige de nouvelle génération ou la création de nouvelles réserves à neige. L’enjeu économique à travers le chiffre d’affaires généré par les activités « hors neige » et les dettes observées par les deux stations, montrent que Métabief Mont d’Or accuse un retard économique important par rapport aux Rousses.

L’accélération de la prise de décision dépend de l’ancrage territorial

La station des Rousses, du fait de ses zones d’expositions moins importantes et de son altitude de 100 à 150 mètres plus élevée, bénéficie d’un répit d’une dizaine d’années au niveau de l’enneigement. Cela lui permet de profiter des retombées économiques, liées aux activités de neige encore quelques années, au combien importantes pour les stations selon le Directeur du SMMO (Métabief Mont d’Or). Les études CLIMSNOW2 réalisées par les deux stations confirment les propos du directeur du Syndicat Mixte du Mont d’Or. La station de Métabief Mont d’Or fait face à une plus grande vulnérabilité climatique que les Rousses en raison de son secteur géographique.

Par ailleurs, le secteur du tourisme est au cœur des stratégies du territoire des Rousses. L’importance politique donnée à ce domaine montre au territoire un intérêt et une dépendance économique. Son ancrage territorial est plus important que celui de Métabief Mont d’Or. En effet, le développement touristique hivernal est une composante des trois enjeux du territoire de la station jurassienne : « concernant les enjeux, on a historiquement trois grands enjeux : l’agriculture (vivrière, maraichère, forestière, tabletterie), des savoirs faires artisanaux (taille de pierre, meuble en bois) et le développement des sports d’hiver qui est arrivé au milieu du siècle » (Elu. CCSR).

Cet ancrage territorial se reflète par des retombées économiques plus importantes pour les Rousses : « il y a une règle qui dit lorsqu’il y a 1 euro dans les remontées mécaniques, il y a 5 ou 7 euros de retombées sur le territoire » (Elu. CCSR). Alors que Métabief Mont d’Or, possède un effet levier plus faible : « On a un effet levier de 1 à 4 et il n’est pas très élevé comparé à d’autres stations » (Dir. SMMO). Les enjeux du territoire de la station doubiste reposent davantage sur : « les activités agricoles, la filière bois, l’activité frontalière et que justement on n’a pas le besoin de la filière touristique »

(Elu. CCLMHD). La filière touristique est un enjeu secondaire pour le territoire.

Enfin, la Suisse, pays frontalier des deux stations, joue un rôle opposé dans la dynamique des deux territoires. La station des Rousses s’est associée avec le domaine suisse, à travers la mise en œuvre d’un nouveau télésiège à hauteur de 12 000 000 €. Cette nouvelle remontée a été mise en service en décembre 2020. Elle permet aujourd’hui de réaliser une liaison entre les deux domaines : « le fait d’avoir créé un nouveau domaine qui s’appelle Jura sur Léman qui est un nouveau domaine franco-suisse ça ouvre un grand domaine de collaboration avec nos voisins suisses » (Dir. Sogestar). C’est une opportunité pour les Rousses, qui est à la conquête de nouvelles clientèles, pour augmenter sa fréquentation et maintenir sa performance malgré le réchauffement climatique. Ce qui n’est pas le cas à 50 km de là, à Métabief Mont d’Or où la Suisse est exprimée comme un « aspirateur d’attractivité » selon le directeur du SMMO. La transformation de logements touristiques en hébergements transfrontaliers en est la preuve concrète sur ce territoire. La Suisse est perçue comme une menace pour Métabief Mont d’Or au contraire des Rousses qui la perçoivent comme une opportunité.

On observe que la station de Métabief Mont d’Or possède un ancrage territorial fragile et vulnérable du fait de ses dettes, sa dépendance à la neige, son altitude et la menace avec la Suisse. Cette tendance s’accélère à cause du réchauffement climatique. La station est donc amenée à changer de modèle économique si elle souhaite continuer à générer des retombées sur son territoire qui, pour rappel, est le fondement des stations de sport d’hiver selon Debardieux (1995). Quant à elle, avec son ancrage affirmé, la station des Rousses est moins dépendante et génératrice de retombées économiques élevées, grâce à une nouvelle opportunité avec la Suisse qui lui permet de garder son modèle économique actuel à la vue du réchauffement climatique.

Le modèle économique affirmé de la station des Rousses résulte des atouts territoriaux performants, selon le concept d’ancrage territorial de Zimmermann (1998) par rapport à la station de Métabief Mont d’Or.

Des gouvernances et modes de gestions différents

Le domaine skiable et la station de Métabief Mont d’Or sont gérés par un syndicat mixte, soit une gestion directe et publique. La station intègre le mode de gestion publique selon les trois modèles évoqués par Goncalves (2013). La typologie de l’acteur de ce modèle de gouvernance est publique.

Bien que la régie soit une gouvernance publique, la stratégie est d’inclure tous les acteurs de la station. L’avis et le regard des socio-professionnels (loueurs de matériel, restauration, hébergement, agences de voyages, …) sont importants selon le directeur du SMMO : « L’office du tourisme et la réunion des socio- professionnels pour le développement du tourisme, c’est un point faible chez nous et nous devons y remédier à court terme pour les quinze prochaines années dans le cadre de notre projet de transition ». En effet, le souhait de la station est de coopérer avec les acteurs privés à court terme pour du long terme, afin de créer une confiance mutuelle entre acteurs publics et privés. Ce cas intègre le partenariat stratégique selon Svensson et al. (2005).

Enfin, selon les deux modèles de gouvernance des stations touristiques de montagne évoqués par Jaccard et al. (2016), la gouvernance de Métabief Mont d’Or se rapproche du community model. En effet, tous les acteurs du territoire sont indépendants et spécialistes dans leur domaine et aucun pouvoir dominant ne supervise l’adaptation.

À l’inverse, le domaine skiable des Rousses est géré par une Société Anonyme d’Économie Mixte (SAEM) aussi appelée Sogestar par gestion indirecte, c’est-à-dire mixte. Deux autres organisations interviennent dans la gestion de la station : la Communauté de Communes de la Station des Rousses (CCSR) et la Syndicat Mixte de Développement Touristique (SMDT). La station s’intègre dans le mode de gestion mixte selon les trois modèles évoqués par Goncalves (2013). Des acteurs privés et publics s’organisent autour de différentes entités.

Selon Svensson et al. (2005), la station intègre le partenariat institutionnel. Effectivement, « Les parties prenantes manifestent leur coopération dans une organisation commune. […] Dans ce cas, le partenariat a besoin d’une certaine autonomie de décision et des ressources financières à sa disposition pour devenir

efficace » (Svensson et al., 2005, p.34). La station des Rousses intègre parfaitement ce type de partenariat, où les secteurs publics et privés se rassemblent sous une même structure, la SAEM. Cette entité a la charge du développement de la station.

De plus, nous retrouvons à la tête de la gouvernance, l’acteur public avec la communauté de communes des Rousses et l’acteur privé avec les banques et les écoles de ski. : « Dans notre structure nous avons des sociétés privées qui sont actionnaires de la SOGESTAR puisque la SOGESTAR est capitalisée à 85% par la communauté de communes, mais les 15% restant ce sont des banques et deux écoles de ski » (Dir. Sogestar). La place de l’acteur privé est très présente dans la gouvernance de cette station.

La gestion du domaine skiable par la Sogestar fonctionne par contrat de station d’une durée de 6 ans. Tous les 6 ans, la communauté de communes se réunit pour décider du prolongement ou de l’arrêt du contrat. Ce mode de gouvernance par contrat entraine une obligation de résultat sur la durée du mandat pour les exploitants.  Les  Rousses  peut  être  assimilées au corporate model (ibid). En effet, l’exploitation de la Sogestar repose sur une logique de profit, comme l’entité de la gestion du domaine skiable étant en partie privée. Les actionnaires souhaitent un retour sur leur investissement.

Pour résumer, la station des Rousses, intègre un mode de gestion mixte alors que Métabief Mont d’Or intègre un mode de gestion publique (Goncalves, 2013). La deuxième différence est la relation partenariale entre acteurs privés et publics : un rassemblement sous une structure commune des acteurs publics et privés pour Les Rousses et à l’inverse une coopération en parallèle pour Métabief Mont d’Or. Enfin, la troisième différence est le modèle économique de la station. L’une doit générer du profit avec son domaine skiable parce qu’elle a des comptes à rendre par son statut de gestion mixte (Les Rousses). Tandis que la seconde agit pour l’économie de l’ensemble de son territoire (Métabief Mont d’Or).

Des stratégies différentes : adaptation transformationnelle pour Métabief Mont d’Or versus ajustement pour les Rousses

La station de Métabief Mont d’Or enclenche depuis 2019 une stratégie de transition climatique : « Le syndicat mixte a pour compétence […] depuis le premier janvier 2019 l’animation d’un pôle d’ingénierie dédié à la transition climatique » (Dir. SMMO). La station de Métabief Mont d’Or s’intègre dans une stratégie d’adaptation transformationnelle, évoquée par Simonet (2016) pour s’adapter au changement climatique. Les orientations politiques s’inscrivent dans un plan d’investissement sur environ 15 ans avec des objectifs à court, moyen et long terme : « À court terme […] construire la luge 4 saisons, et ouvrir la coopération sur le territoire. À moyen terme à 5-10 ans, c’est d’investir sur le territoire […]. À long terme à 15 ans, c’est de démonter les remontées mécaniques sauf le télésiège du Morond » (Dir. SMMO). On observe que la stratégie transformationnelle est enclenchée dans le temps.

En revanche, la station des Rousses engage une stratégie de diversification et de maintien des activités blanches. Le développement d’aménagements, comme la    construction du nouveau télésiège « des Jouvenceaux » et la création de lieux de stockage de neige en sont des exemples. Nous pouvons ainsi lier la stratégie d’adaptation d’ajustement de Simonet (2016) à la station des Rousses face au changement climatique. En effet, la stratégie d’ajustement se caractérise par un rééquilibrage des aménagements déjà mis en place. Les orientations politiques s’inscrivent dans une stratégie à court et moyen terme : « aujourd’hui vu les évolutions, on est bien placé pour le voir, il est difficile de voir au-delà de 6 ans les évolutions. Déjà quand on a une vision sur 6 ans c’est déjà pas mal. » (Dir.Sogestar). Les 6 ans correspondent à la durée d’un contrat de station entre la CCSR et la SAEM. On observe que la stratégie d’ajustement est enclenchée à court terme.

La stratégie dépend de la gouvernance et du contexte de la station

Le modèle de gouvernance publique de la station de Métabief Mont d’Or semble adapté à la mise en œuvre d’une stratégie de type transformationnelle. Le directeur du Syndicat Mixte du Mont d’Or souligne que la capacité du changement dans le temps, par le biais d’une régie (publique), est un avantage crucial du mode de gestion directe : « lorsqu’on parle de transition climatique, il faut regarder au-delà de 10 ans. Je défends

le modèle régi pour ça. C’est le meilleur modèle pour la conduite du changement. […] Quand j’échange avec d’autres gestionnaires en France, ça se confirme. Le mode de gestion détermine la capacité à changer ». Ces propos se confirment selon les caractéristiques du partenariat stratégique de Svensson et al. (2005). Les projets de transition sur le long terme sont propices et cela par le biais d’une gouvernance publique. De plus, un projet de transition comme celui-ci doit intégrer l’ensemble des acteurs du territoire, d’où la nécessité d’une coopération avec les socio-professionnels du territoire. C’est l’un des objectifs du « community model » (Jaccard et al, 2016). La force est la connaissance du domaine de chaque acteur, qui permettra la transformation du territoire, à toutes les échelles. L’acteur public est présent pour accompagner chaque acteur dans une démarche de transformation. Cette dernière doit s’effectuer à l’ensemble du territoire. C’est l’un des enjeux prioritaires selon le directeur du SMMO : « l’enjeu n’est pas sur le domaine skiable, mais davantage sur le territoire qui l’entoure afin de développer des offres hors neige ».

Le contexte territorial et économique a lui aussi une importance dans la stratégie d’adaptation. Nous avons analysé que Métabief Mont d’Or, par son économie fragile et sa vulnérabilité (énoncée en 3.2) au réchauffement climatique, s’oriente vers une diversification de l’offre très rapidement. D’où une stratégie transformationnelle engagée aujourd’hui à l’échelle de son territoire.

À l’inverse, le modèle de gouvernance mixte de la station des Rousses semble propice au développement d’une stratégie d’ajustement. En effet, les stratégies sont planifiées à court et moyen terme. Le développement d’aménagement est favorable à ce mode de gestion sur un contrat de 6 ans pour le domaine skiable. Le mode de gestion mixte permet d’investir sur le domaine skiable, et de continuer à tirer profit des activités liées à la neige, par le biais de la gestion mixte (SAEM).

Le développement à court terme se confirme à travers le partenariat institutionnel (Svensson et al., 2005). En effet, la gestion mixte se caractérise par une autonomie dans la prise de décision et de la valeur économique. Cela permet le développement d’aménagements ponctuels comme la création d’un nouveau télésiège. Le mode de gouvernance mixte agit uniquement sur le domaine skiable.

Le contexte territorial et le climat représentent un enjeu économique pour la station : « aujourd’hui, c’est vrai chez nous et dans les Alpes, le modèle économique apporté par la neige est très rentable et personne n’a trouvé une solution pour le remplacer. » (Dir.Sogestar). Ils souhaitent continuer à exploiter le plus longtemps possible le ski, puisque l’activité fonctionne très bien sur ce territoire, ce qui est en cohérence avec la gestion mixte du domaine skiable. C’est l’objectif d’une gouvernance avec un model corporate (ibid).

D’après notre analyse, nous pouvons lier d’une part le mode de gestion publique et le partenariat stratégique, à une stratégie transformationnelle et d’autre part, le mode de gestion mixte et le partenariat institutionnel, à une stratégie d’ajustement. La vision du temps (court et long terme) est un élément différenciant les deux stratégies évoquées par Simonet (2016) et qui associe les deux modes de gestion des deux stations prises comme exemple. Le deuxième élément différenciant les deux stratégies est la vision du périmètre géographique de la stratégie. La gouvernance publique étend sa stratégie à l’ensemble du territoire alors qu’une gouvernance mixte se focalise sur son domaine skiable. Le troisième paramètre est la place de l’acteur privé dans la prise de décision et de sa coopération avec l’acteur directif.

Conclusion

Métabief Mont d’Or, par son ancrage territorial et les enjeux du domaine skiable plus vulnérables face au réchauffement climatique, est dans l’obligation de changer sa stratégie actuelle si elle souhaite continuer à faire vivre son territoire et ses acteurs, dans une quinzaine d’années. Nous avons vu que sa gouvernance en régie directe est un véritable atout pour sa stratégie de transition à long terme.

Quant à elle, la station des Rousses, qui bénéficie d’un « répit », poursuit sa stratégie « quatre saisons », avec un maintien fort de la saison hivernale dans une logique d’adaptation d’ajustement selon Simonet (2006). Elle a la capacité d’en tirer profit plus longtemps que Métabief Mont d’Or et a un véritable intérêt économique à continuer l’exploitation de son domaine skiable en améliorant continuellement ses infrastructures.

La gouvernance directe apparaît comme propice au développement d’une stratégie d’adaptation transformationnelle et une gouvernance mixte à une stratégie d’adaptation d’ajustement, pour une station de ski.

Les deux stations ont su s’adapter face à leur problématique liée aux contextes climatiques. Cependant, il semble nécessaire d’imaginer une nouvelle ingénierie touristique avec les solutions d’aménagement intrinsèques, pour assurer la pérennité voire le développement économique des stations de moyenne montagne. En effet, aujourd’hui ce sont les produits touristiques hivernaux qui permettent de faire vivre les stations de ski.

Prenons l’exemple de la station de Ventron dans les Vosges. Cette station a vu son domaine skiable fermé par manque de neige en 2020. Aujourd’hui, la station a su rebondir et s’est relancée par des investisseurs dans le domaine de l’hôtellerie de haut standing. L’objectif est de continuer à faire vivre le territoire et générer une attractivité autre que celle liée à l’or blanc.

Pour demain quelles solutions en termes d’activités touristiques, culturelles, sportives ou de loisirs, permettront de générer autant de retombées économiques que l’activité du ski et l’arrêt des activités alpines ?

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1Consulté le 13/10/2021 : http://www.meteofrance.fr/climat-passe-et-futur/le- rechauffement-observe-a-l-echelledu-globe-et-en-france

2 Étude climatique sur la fiabilité de l’enneigement (https://www.climsnow.com/)