Entre autonomie et dépendance, la pratique du handiski comme voie vers la déstigmatisation

Le handiski est une pratique accessible à tous, qui vient renverser les modes de pensées « validistes ». Effectivement, il nous paraît normal de skier debout grâce à nos « capacités physiques ». Or, une personne ayant des incapacités motrices, peut également pratiquer cette activité hivernale assise, qui plus est avec l’aide d’un pilote, si elle n’a non plus l’usage de ses membres supérieurs. Dès lors, se pose la question de l’autonomie. Pouvons-nous qualifier un handiskieur au sein d’un fauteuil piloté par un tiers, comme autonome ? N’est-il pas dépendant de différents facteurs ? De plus, il était intéressant de comprendre en quoi une pratique handisportive permettrait de lutter contre la stigmatisation sociétale faite sur le handicap.  Afin d’éclaircir cela, une étude de terrain a été réalisée à la station de ski de Font-Romeu. L’objectif était de confronter les différents points de vue d’acteurs du milieu comme des moniteurs de ski, des accompagnateurs ainsi que des handiskieurs. Suite à une observation participante et à des entretiens, nous nous sommes rendu compte que le handiski peut être qualifié de pratique autonome qui se réalise de manière dépendante.

Comme le souligne Blanc, « L’existence du handicap suppose deux conditions nécessaires interagissant simultanément… : les personnes corporellement défaillantes vivent dans un environnement inhospitalier » (2015, p.17). Cet environnement est composé de facilitateurs (pouvant devenir des obstacles) architecturaux, technologiques et humains (Reichhart, 2013). Ajouté à cela, une « image d’apathie, d’inactivité, et de dépendance » (Marcellini, 2005) est associée aux personnes en situation de handicap. Or, « cette stigmatisation forte est tellement partagée dans le corps social, que les personnes étiquetées elles-mêmes l’ont intégrée. » (Ibid., p.15). L’individu déficient ne se sent alors pas capable de réaliser certaines actions en société, entravant alors son autonomie.

Afin de lutter contre cette « discrimination », notre société voit apparaître la naissance du mouvement fédéral Handisport[1], dès la fin du XIXe. Suite à la seconde guerre mondiale, le sport est principalement vu comme un moyen de rééducation et un outil de réadaptation fonctionnelle pour les mutilés de guerre. Néanmoins, certains acteurs tels que les mutilés de guerre eux-mêmes, tentent de développer une autre vision moins médicale. Philippe Berthe (skieur valide devenu amputé fémoral suite à une blessure de guerre) souhaite retrouver sa pratique et se rend compte que mutilation et sport ne sont pas incompatibles (Ruffié, Ferez, 2013). Il crée alors la Fondation de l’Amicale Sportive des Mutilés de France (ASMF)[2]. C’est grâce à la volonté de certains bricoleurs idéalistes, à quelques financements régionaux ou de stations de ski, ainsi qu’à des innovations techniques que le handiski voit le jour dans les années 1950 en France. Afin de rendre les pratiques du ski accessibles, apparaît un ensemble d’innovations techniques et technologiques. Selon Reichhart (2020), ces dernières doivent être « ajustées aux différents troubles et altérations » en fonction des besoins spécifiques de chaque personne. A l’époque de Philippe Berthe, se développent des innovations techniques visant à compenser les conséquences fonctionnelles d’une déficience physique, pour un public ayant les capacités de se tenir debout. Pour les personnes n’ayant les capacités à skier debout[3], se crée en France le premier fauteuil de ski en 1985. Entre le Tempo Uniski, le Tempo Dualski ou encore le Tandem’Flex, la diversification du matériel se développe au début des années 2000, permettant la pratique à un plus grand nombre de personnes.

D’autres facteurs tels que les aspects législatifs qui tendent vers l’inclusion ou encore l’architecture des stations de ski se voulant accessible, se développent afin de favoriser les possibilités de pratique en montagne pour tous. Un dernier facteur notable, et loin d’être le moins indispensable, est bien le facilitateur humain. Effectivement, l’accompagnant qui se trouve derrière le fauteuil handiski, va jouer un rôle primordial, en fonction des attentes de la personne, dans la valorisation de l’autonomie du handiskieur. C’est par l’ensemble de ces facteurs, que l’environnement du pratiquant ayant des incapacités deviendra, ou non, favorable à sa recherche de sensations de glisse et/ou d’autonomie et participera à créer ou à réduire les situations de handicap. Or, que signifie être autonome lorsque l’on vit des situations de handicap qui amènent à être aidé (par l’usage de technologie et/ou via des aides humaines) pour la réalisation de ses habitudes de vie ?

Selon Loher Goupil: « La notion d’autonomie est devenue centrale en matière de handicap » (2015, p.12). Effectivement, nombreuses sont les personnes ayant des incapacités qui rêvent d’atteindre cette fameuse autonomie. Cette dernière est définie 2007 par le CNRTL[4] comme « une faculté de se déterminer par soi-même, de choisir, d’agir librement », ou encore comme une forme de « liberté, indépendance morale ou intellectuelle ». Or, comment agir librement lorsqu’une personne détient des limitations fonctionnelles ? En 2016, Henrard souligne que la notion d’autonomie « est souvent utilisée abusivement dans le sens « d’autonomie fonctionnelle » (ou « physique ») considérée comme absence de dépendance pour les activités de la vie courante. » (2016, p.150). Il est alors important de bien comprendre cette notion et de souligner la nuance affligée à cette dernière.

Face à cela, pouvons-nous affirmer qu’une personne ayant des incapacités physiques détient toute forme d’autonomie ? La loi du 11 février 2005[5], répond à certains de nos questionnements quant à l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes en situation de handicap : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». À travers cette définition, nous pouvons constater que le handicap entraîne donc certaines complications tant bien physiologiques que physiques, entravant indirectement, l’autonomie recherchée par tout humain mais également sa dépendance à certains facteurs. En effet, la nécessité d’avoir un fauteuil handiski adapté, un pilote derrière ce dernier ainsi qu’un environnement adapté pourrait constituer  une certaine forme de dépendance de l’handiskieur au sein de cette pratique dite autonome.

On peut alors se demander dans quelle(s) mesure(s) une déstigmatisation du handicap est-elle possible grâce à la pratique du handiski à la fois autonome et dépendante ? Après avoir présenté la méthode d’enquête adoptée, nous verrons que le handiski est une pratique pouvant être réalisée en toute autonomie. Puis, nous expliquerons pourquoi cette pratique détient également une part de dépendance pour le handiskieur. Enfin, nous montrerons que la pratique du handiski peut être une voie vers une forme de déstigmatisation.

Méthodologie

Une enquête débute souvent par une longue phase de questionnement et d’observations. Ma recherche a commencé lors de ma formation en 2020 pour devenir « Accompagnatrice Fédérale Handisport mention Ski Alpin ». Cette expérience représente une première porte d’entrée sur mon terrain de recherche en me permettant d’entrer en contact avec l’association Handikraft[6]. Je n’avais plus besoin d’un « gatekeeper » (Schwartz & Jacobs, 1979) afin de négocier mon entrée sur le terrain d’étude car les dirigeants de l’association me connaissaient déjà grâce à ce premier séjour. En février 2022, j’ai repris contact avec cette association dans le but de passer quatre jours au mois de mars auprès d’eux.

En parallèle de ce choix de zone géographique, la population a été délimitée. Nous n’évoquerons dans notre article que les personnes ayant une limitation motrice. Bien que plusieurs pratiques de handiski existent, je me suis concentrée sur les usagers assis dans un fauteuil piloté par une personne. De plus, rappelons que le terrain « est avant tout un ensemble de relations qui supposent la présence et l’engagement personnel du chercheur » (Agier, 2007, p.178). J’ai donc adopté une approche micro-sociologique, de type inductive, notamment par le biais d’une démarche ethnographique. Finalement, le fait d’avoir été physiquement sur mon terrain d’enquête m’a permis dans un premier temps d’utiliser l’outil d’observation et dans un second temps, celui des entretiens qui a été mon outil principal.

L’enjeu de participer à des sorties handiski était d’observer et munie d’un carnet de terrain, j’ai pu prendre des notes au sujet des comportements, et des interactions entre les individus (pilotes et handiskieurs). L’observation participante m’a donc permis de rentrer en contact avec le terrain et de créer des rapports particuliers avec les pratiquants que j’ai interrogés par la suite. Une relation de confiance s’est créée avec les acteurs observés, ce qui m’a donné accès à une grande diversité d’informations. Cette méthode a donc participé pleinement à la possibilité de réaliser des entretiens qualitatifs. Les cinq entretiens enregistrés, faisant également partis de mes observations, ont duré en moyenne une heure et se sont déroulés dans différents lieux selon les attentes des enquêtés (hôtel, café, en bas des pistes de ski).

PrénomÂgeType d’atteinteStatut
Laurie30 ansAucunePilote Bénévole
Pierre46 ansAucunePilote Salarié
Yannick43 ansTétraplégieHandiskieur
Mélanie40 ansTétraplégieHandiskieuse
Léo36 ansAucunePilote salarié
Tableau récapitulatif des personnes interviewées

L’objectif était de comparer les différents points de vue des acteurs du terrain concernant les axes de recherche. Les entretiens, se situant entre l’entretien biographique (Becker, 1966) et d’explication (Vermesh, 2008) ont été conduits via l’utilisation d’un guide d’entretien comportant quatre thèmes : le statut du répondant ; le handiski et le plaisir de la glisse ; la relation entre le pilote et le handiskieur en lien avec la notion d’autonomie; la déstigmatisation du handicap par le biais de cette pratique, faisant référence au concept de « l’handi-capable » (Richard et André, 2017), notion définie par la suite. Les questions et relances ont été ajustées au fil de l’enquête.  L’échantillonnage des entretiens s’est fait de manière « naturelle » au cours du séjour, mais en contrôlant les critères de diversité souhaités. Nous avons veillé à refléter cette diversité des profils en interrogeant des handiskieurs, des professionnels du milieu ou encore des bénévoles, homme et femme, de tout âge confondu. De ce fait, suite à une analyse thématique à partir du codage des données (Mucchielli, 1977), j’ai pu constater des similitudes de pensées ou au contraire, de réelles oppositions dans leurs discours.

Le handiski :  quelle autonomie pour le pratiquant ?

« C’est génial parce que tu retrouves ce plaisir de glisse, ce plaisir de descendre, ce plaisir d’aller chercher la bosse où tu veux la prendre enfin. » (Homme, tétraplégie)

L’autonomie partirait d’un désir ou d’un besoin éprouvé par une personne. Si cette dernière peut le satisfaire par elle-même, nous parlerons d’indépendance. Or, si l’individu n’est pas en mesure de le satisfaire par lui-même, alors ce dernier va venir élaborer une stratégie pour gérer son besoin. Nous nommerons cela de l’autonomie ou de l’interdépendance (Loher, 2015). Dans la pratique du handiski, si le pratiquant ne peut gérer le fauteuil par lui-même mais que ce dernier met en place une stratégie pour y arriver, par le biais du pilote ou autre, alors l’autonomie est bien présente. L’handiskieur aura eu la liberté de choisir, grâce à une gestion de l’aide dont il aura besoin pour assouvir son envie. Effectivement, certains handiskieurs sont en quête de cette autonomie alors que d’autres préfèrent le ski dit de « balade ».

« Il n’y a pas vraiment d’apprentissage d’une réelle autonomie. Parce qu’en tant que tétraplégique, j’étais plus là pour donner des directions moi avec les stabilos. Et eux, vraiment gérer la glisse derrière moi. Donc ils me pilotaient mais c’était du pilotage assisté, je dirais. Moi, je je, j’ai initié la direction et lui, accompagne le châssis pour, pour qu’il tourne là où je veux aller, voilà ». (Homme, tétraplégie)

« Là où je veux aller » :  voici une phrase qui montre que ce dernier éprouve un désir et que malgré le fait qu’il ne puisse le faire seul, il vient élaborer une stratégie pour gérer son besoin d’aide, par le biais du pilote, et donc devenir autonome. Un handiskieur autonome est défini par un pilote comme « une personne qui va avoir des besoins et il va y avoir un valide qui va subvenir à ses besoins. ». Comme l’évoque Henrard (2012, p.156) : « L’autonomie n’existe que par des relations d’interdépendance (ou dépendances réciproques) entre les personnes d’ordre affectif, économique et social tout au long du parcours de vie. ». Ces relations sont significatives au cours de la pratique de handiski notamment entre le couple handiskieur/pilote. Que l’handiskieur soit en recherche de sensations fortes ou de simple désir d’accompagnement du pilote, ce dernier doit s’adapter aux situations de chacun. Au-delà même du handicap, ce sont les caractères des personnes qui varient, laissant place à des recherches de sensations de lenteur de glisse ou au contraire, des sensations liées à la vitesse, ainsi qu’à une volonté ou non d’autonomie. Un réel travail de communication et une relation de confiance doit être créée entre les deux protagonistes, afin que le choix fait librement par le handiskieur soit accepté par le pilote. Chacun d’entre eux détient un rôle clé dans cette quête qui relève, d’un point de vue des handiskieurs, d’une envie pour certains, et un désintéressement pour d’autres préférant le ski dit de « balade ».

Au final, comme le souligne Winance, « Une personne autonome n’est pas une personne qui décide et agit seule, mais dont le pouvoir décisionnel et les capacités d’action sont soutenus par de multiples relations (sociales, techniques, institutionnelles, symboliques …) » (2007, p 84). C’est donc par la combinaison de plusieurs facteurs, tels que le matériel et le pilote (Reichhart, 2013), que l’handiskieur peut prétendre à une forme d’autonomie, créant alors des conditions de capacités autres que certains auteurs nomment « handi-capable » (Richard et André, 2017). Les facilitateurs mentionnés par technologiques et humains permettent de faire face aux obstacles rencontrés au quotidien par les personnes ayant une incapacité fonctionnelle.

Une activité dite « autonome » mais réalisée de manière dépendante par l’handiskieur.

« Comment tu veux que je gagne en autonomie s’il n’est pas là pour me montrer justement la limite ? » (Homme, tétraplégie)

La notion de dépendance pour une personne en situation de handicap est souvent définie comme le contraire de celle de l’autonomie (Henrard, 2016). Or, ce dernier mentionne également que la dépendance n’est pas l’opposé de l’autonomie puisqu’il existe des relations d’interdépendance entre les personnes. Cette notion de dépendance est difficilement définissable par le sens variable qui lui est attribué, en fonction des disciplines qui l’étudient (Ennuyer, 2022). Henrard propose la définition suivante : « La dépendance est de façon générale une situation où l’action de tiers est nécessaire pour qu’une personne puisse atteindre les buts qu’elle s’est fixés » (2012, p.151). Dans le cadre de la pratique du handiski, ces buts fixés par le pratiquant relèvent alors d’une forme d’autonomie évoquée précédemment. Néanmoins, afin d’atteindre ces objectifs, le handiskieur semble être dépendant de certains facteurs. Effectivement, comme le souligne Fougeyrollas (2011), le handicap, auparavant considéré comme une caractéristique de l’individu (différence corporelle ou fonctionnelle), entraînait stigmatisation ou exclusion. Or, nous savons désormais que les facteurs environnementaux possèdent un fort impact sur le processus de production du handicap. Une personne avec déficiences se voit alors quotidiennement confrontée à des obstacles extérieurs qui la mettent, dès lors, en « situation de handicap » l’opposé de la situation de pleine participation sociale.

Pour remédier à ces diverses contraintes, nous pouvons constater un accroissement des facilitateurs environnementaux permettant l’accès aux activités touristiques à tout public en situation de handicap. Reichhart (2013) en distingue trois types : les facilitateurs architecturaux correspondant à l’accessibilité physique de l’espace (télésièges, rampes d’accès, etc.), les facilitateurs technologiques et matériels sportifs et de loisirs adaptés, issus des progrès et innovations technologiques (fauteuils handiski, de baignade, etc.) et les facilitateurs humains (attitudes bienveillantes, formation des pilotes, etc.). Ces trois types de facteurs dont un handiskieur est dépendant, afin d’atteindre une pratique autonome, renvoient à la définition de la notion de dépendance proposée par Winance. Selon l’auteure, « … la personne dépendante est celle qui, suite à une maladie ou un accident, n’est plus capable de réaliser les diverses activités de la vie quotidienne (activités physiques, sociales, …) sans recourir à une aide » (2007, p. 84). Ces aides matérielles, technologiques et humaines, adaptées aux besoins spécifiques du handiskieur, viennent alors compenser la situation de handicap de ce dernier, plus précisément sur les conséquences fonctionnelles des déficiences (Perera et al., 2020), afin de valoriser l’autonomie de ce dernier.

Au final, malgré une pratique dite autonome, un handiskieur est en état de dépendance vis-à-vis du matériel et de l’environnement de pratique qui seront plus ou moins adaptés à ses besoins particuliers. De plus la dépendance vis à vis de l’accompagnateur est importante. En est ressorti lors des entretiens la notion de couple handiskieur/pilote. Sous le nom de binôme ou encore de duo, un lien fort est mentionné entre ces deux protagonistes, permettant l’accès à diverses sensations. Une handiskieuse propose même le terme d’« osmose » avec le pilote. En fonction de la formation et de la sensibilité de ce dernier, il pourra avoir des comportements qui faciliteront ou non l’accès à une pratique plus autonome. Comme l’évoque Winance, « … la notion de dépendance réfère soit aux incapacités fonctionnelles de la personne … soit à sa relation, plus ou moins intense, à un dispositif médical, social ou technique compensant ses incapacités » (2007, p.84). Ces « incapacités » abordées par l’auteure semblent être intéressantes à analyser sous un autre regard : celui de l’handi-capabilité.

Une voie vers la déstigmatisation

La notion d’handi-capable propose une nouvelle vision du corps, non plus vu comme incapacitaire, mais comme « autrement capable » (Richard et André, 2017). Au sein de la pratique du handiski, cette dernière est favorisée par la notion d’autonomie évoquée ci-dessus. Comme l’évoque un handiskieur : « … ça démystifie complètement tout, … là où beaucoup voient que la barrière, c’est l’inverse ! » (Homme, tétraplégie). Le regard sociétal porté sur le handicap et les limitations procurées, se voit alors renversé. C’est donc grâce à différents facteurs que l’handiskieur serait vu comme « autrement capable » (Richard et André, 2017). Cette expression, d’origine mauricienne, valorise un potentiel extra-ordinaire des capacités dites différentes mais bien existantes des individus. Selon Perera et Le Roux « Les attentes d’autonomie, de sportivité, associées à l’inventivité des handisportifs, créent des conditions « handi-capables »… » (2021, p.12). Ces dernières offrent de nouvelles expériences de soi et de son corps. D’après Richard et André (2017), « le « corps handi-capable » propose, plus que de l’humain augmenté, de nouvelles formes de capabilités. Il expérimente de nouvelles possibilités « d’être au monde ». Il permet par conséquent la construction d’une identité particulière affirmant un soi capable (Perera, Le Roux, 2021). La personne est alors vue pour ses capacités. Ce changement de regard permettrait alors une certaine forme de déstigmatisation face au handicap. Comme le souligne un handiskieur, au cours de la pratique « il n’y a plus de regard. Il n’y a plus de assis ou de debout. ».  Néanmoins, cela n’est pas si utopique que ce que l’on croit.

Effectivement, la stigmatisation de la société envers un public déficient pourrait venir entraver la valorisation de la personne dans le fauteuil ski. Selon Goffman (1975), un stigmate désigne « un attribut qui jette un discrédit profond » sur la personne stigmatisée. En ville ou en montagne, il est compliqué d’esquiver ces regards car comme l’explique Goffman (1963), chez les personnes stigmatisées, il y a celles qui sont discréditables, donc que le stigmate n’est pas visible au premier abord, et les discréditées, dont leur stigmate est visible directement. Être en fauteuil handiski ramène alors la personne à être discréditée. Cela serait une voie de réponse face aux regards des autres personnes (skieurs valides, pisteurs, etc.) qui s’avèrent être parfois bien maladroits.

Comme le mentionne un handiskieur au cours d’un entretien « C’est là où la barrière du handicap elle tombe ! » (Homme, tétraplégie). Effectivement, de fortes étiquettes sont assignées aux personnes en situation de handicap comme évoqué précédemment, créant cette « barrière du handicap ». Elles sont au cœur des représentations négatives du handicap physique intégrées par la société. En 2005, Marcellini affirme que ce qui donne sens à la déficience, ce sont les incapacités et les désavantages sociaux associés à cette dernière. Néanmoins, un handiskieur atteint d’une tétraplégie mentionne lors des entretiens « … là où on met un terme de handicap sur un fauteuil roulant par exemple, moi, aujourd’hui j’ai envie de te dire, que c’est une clé a beaucoup de choses. ».  C’est là où le handiski permettrait alors de renverser ces préjugés en valorisant l’handi-capable qui se présente au sein du fauteuil. Comme le disent Richard et André: « En ce sens, le corps handi-capable constitue une forme de résistance au validisme. »  (2017, p.71 ). Dans la pratique du handiski, le corps handi-capable permet alors de faire du ski d’une autre façon que le ski traditionnel. Le corps est utilisé d’une manière novatrice, à contre-courant des normes sociales. Cette originalité pourrait changer la vision qu’a la société sur la pratique sportive destinée aux personnes en situation de handicap, et notamment dans le milieu naturel de la montagne.

Au final, les aides technologiques, architecturales ainsi qu’humaines permettent de lutter contre le « capacitisme » (nommé également le validisme), représentant une domination sociétale des normes du corps « valide » selon Richard et André (2017), provoquant par conséquent, une discrimination face aux personnes en situation de handicap. Nous constatons alors un renversement des normes corporelles dominantes (interpellant les bonnes manières d’agir) en montrant d’autres façons d’agir avec son corps que permet le tourisme d’aventure (Perera et Le Roux, 2021). La valorisation de l’autonomie grâce à une vision du corps handi-capable permet alors une forme de déstigmatisation du handicap en faisant changer le regard qu’a la société face à la différence.

Conclusion

Finalement, ce travail de recherche nous a permis dans un premier temps, de recontextualiser certaines idées préconçues et cela, dès l’utilisation du vocabulaire. Effectivement, dans le domaine du handicap, des termes comme l’autonomie et la dépendance sont utilisés maladroitement par notre société. Comme le souligne Winance, « La personne qualifiée intuitivement, ou par les professionnels, « d’autonome » n’est pas une personne isolée mais une personne qui se fabrique et est fabriquée à travers ses relations à différents dispositifs (Winance, 2001). Autrement dit, elle est à la fois dépendante et autonome, ou encore, elle est autonome à travers les multiples dépendances qui la font. » (2007, p.85). Lorsque nous assimilons ces propos à la pratique du handiski, nous comprenons alors que cette activité est réalisée de manière autonome par les handiskieurs, mais de manière inter-dépendante à de multiples facteurs. Effectivement, les aides technologiques, architecturales ainsi qu’humaines sont nécessaires dans la mise en place de la stratégie. Celle-ci a pour but de mener à bien le choix évoqué par le pratiquant, afin que ce dernier soit en situation d’autonomie.

De plus, ces dernières permettent de lutter contre le « capacitisme » (nommé également le validisme). Ce terme représente une domination sociétale des normes du corps « valide » selon Richard et André en 2017, provoquant par conséquent, une discrimination face aux personnes en situation de handicap. Nous constatons alors un renversement des normes corporelles dominantes (interpellant les bonnes manières d’agir) en montrant d’autres façons d’agir avec son corps que permet le tourisme d’aventure (Perera et Le Roux, 2021). La valorisation de l’autonomie, grâce à une vision du corps handi-capable, permet alors une forme de déstigmatisation du handicap. Le regard qu’a la société face à la différence se voit changé.

Enfin, le handicap qui est questionné dans ce travail, s’inscrit dans le paysage des « disability studies ». Ces dernières sont définies par Linton (1998) comme « restructurant l’approche du handicap en se centrant sur lui en tant que phénomène social, construction sociale, métaphore et culture, utilisant un modèle de groupe minoritaire. » (cité par Marcellini, 2005, p.31). Afin de faire tomber les barrières du handicap et de faire face à la construction sociale affligée à la différence, il est intéressant de voir la pratique du handiski comme moyen d’éducation. Effectivement, éveiller l’intérêt et la curiosité de l’autre par le biais d’une pratique sportive est alors un parfait outil éducatif pour renverser les préjugés. Ces derniers doivent être bousculés et ce, grâce à la visibilité et à la sensibilisation du handicap, dès le plus jeune âge.

Pour ce faire, nos résultats montrent qu’il serait intéressant d’échanger les rôles, en mettant le valide au sein d’un fauteuil handiski (ce que l’on peut observer durant les formations handicki). Se mettre dans la peau d’un handiskieur permettrait d’accéder aux sensations vécues par ce dernier. Le valide se confronte directement au regard des autres ce qui pourrait alors faire changer sa vision face au handicap. Effectivement, le fait de se retrouver dans le fauteuil en tant que valide relèverait d’une expérience de sensibilisation concrète. De plus, comme le précise un handiskieur tétraplégique « je pense qu’on proposerait aux valides de se mettre dans une coque, de suite avant de se mettre debout, dans une coque et apprendre à skier à 45 cm du sol, je ne suis pas sûr qu’on serait beaucoup nombreux debout sur les pistes ». Ce renversement d’habitudes de pratique bouleverserait le regard qu’a la société sur le handicap mais également le monde du tourisme sportif.

Bibliographie

Blanc, A. (2015). Sociologie du handicap – 2e éd (ARMAND COLIN éd.). ARMAND COLIN.

Fougeyrollas, P. (2011). Le funambule, le fil et la toile. Transformations réciproques du sens du handicap. Presse université Laval.

Goffman E., (1975). Stigmate : les usages sociaux des handicaps. Les Edition de Minuit.

Loher-Goupil, A. (2015). Autonomie et handicap moteur (Chronique sociale éd.). Chronique sociale

Marcellini A. (2005). Des vies en fauteuil (CTNERHI éd.). CTNERHI.

Perera E,  Beldame Y., Soulé B.. (2018). L’accessibilité des domaines skiables aux personnes en situation de handicap : des ressorts associatifs et matériels pour pallier le volontarisme ténu des gestionnaires des stations de montagne. (Tétraèdre éd., Vol. 3). Tétraèdre.

Perera, E., Le Roux N., (2021, 17 mars). Tourisme sportif et santé. TEOROS.

Perera, E., Beldame, Y., Soulé, B. (2020). Corps, Sport et Handicaps. Dans L’accessibilité des domaines skiables aux personnes en situation de handicap : des ressorts associatifs et matériels pour pallier le volontarisme ténu des gestionnaires des stations de montagne, : Vol. Tome 3 (Téraèdre éd., p. 145). Téraèdre.

Reichhart, F. (2013). Quels tourismes pour les personnes handicapés (Open Edition Journals éd.). Open Edition Journals.

Richard R., André J. (2017). « Cyborg ou/et « handi-capable » ? L’expérience du corps capacitaire chez les participants au Cybathlon» (Recherche&Education éd.). Recherche & Education.

Ruffié, S., Ferez, S. (dir), Corps, Sport, Handicaps : L’institutionnalisation du mouvement handisport (1954-2008), Paris : Téraèdre

Winance, M. (2007). Dépendance versus autonomie… De la signification et de l’imprégnation de ces notions dans les pratiques médicosociales: Commentaire. Sciences sociales et santé, 25, 83-91. 


[1] Le handisport vise l’aménagement de certaines pratiques sportives pour un public ayant un handicap physique ou sensoriel. Ceci est à différencier du Sport Adapté qui lui est destiné à des personnes présentant une déficience intellectuelle ou un trouble psychique.

[2] Elle représente la première association de sport pour individus porteurs de handicap physique.

[3] Afin de rendre les pratiques du ski accessibles, apparaît un ensemble d’innovations techniques et technologiques. Ces dernières permettent la pratique debout et la pratique assise (sur fauteuil). Deux types de pratiques de ski assis sont possibles : la pratique autonome concernant les personnes handicapées de membres inférieurs ayant un bon usage du tronc, ainsi que la pratique accompagnée concernant les personnes non autonomes nécessitant un accompagnement humain.

[4] Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales

[5] LOI n° 2005–102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. (2005, 12 février). Légifrance République Française.

[6] L’association Handikraft, implantée sur Font Romeu, promeut l’accessibilité à tous par le biais du handiski.