Comprendre les logiques d’actions éco-responsables des gérants de structures de canyoning et d’escalade dans l’Hérault : Une analyse des pratiques et des formes d’engagements.
Cet article examine les enjeux de la promotion de pratiques éco-responsables dans les activités de plein air, en se concentrant sur le canyoning et l’escalade, dans la région de l’Hérault. À partir de 5 entretiens semi-directifs avec des gestionnaires de structures de canyoning et d’escalade, il met en évidence l’importance croissante de l’éco-responsabilité dans le tourisme sportif. Leur recherche de solutions témoigne d’un désir d’innovation dans la conception du tourisme sportif, allant de la création de programmes éducatifs à la création de chartes éthiques internes. Ces initiatives témoignent d’une démarche proactive visant à repenser et à modeler l’avenir du secteur sportif en harmonie avec les enjeux environnementaux actuels.
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Par Camille MASSETTI
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Passionnée par les enjeux environnementaux et les activités de plein air, j’ai choisi d’explorer ces deux domaines dans le cadre de mon mémoire. La convergence de ces intérêts m’a conduite à me pencher spécifiquement sur les pratiques éco-responsables dans les activités de canyoning et d’escalade, en se concentrant sur la région de l’Hérault. Convaincue de l’importance croissante de l’éco-responsabilité dans le tourisme sportif, en particulier celui de plein air, j’ai choisi ce sujet pour comprendre comment les gestionnaires de structures sportives de nature intègrent ces préoccupations dans leurs pratiques.
Introduction
Les sports de nature, initialement centrés autour des jeux traditionnels, ont connu une popularité croissante à la fin du XXe siècle selon un sondage BVA de 2001. Cette expansion a généré des retombées économiques significatives avec un investissement public de 168 millions d’euros en 2005, soit 24% d’un total de 700 millions d’euros. Cependant, cette expansion a également engendré des répercussions environnementales néfastes, tels que l’artificialisation des territoires et les dommages aux écosystèmes (Horyniecki, 2006). Il est donc essentiel de se pencher sur la manière dont ces activités peuvent s’inscrire dans une démarche de développement durable mais aussi d’éco-responsabilité.
Depuis les années 80, l’escalade et le canyoning sont deux sports de nature en constante expansion, avec une augmentation annuelle de 5 à 7 % (Ministère de la Jeunesse et des Sports, 2017). Cela a donc suscité un intérêt croissant sur leur impact environnemental et la nécessité d’adopter des pratiques plus responsables. La Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade a alors souligné l’importance de découvrir des milieux naturels, tout en insistant sur le respect des écosystèmes (FFME, 2021). Par conséquent, il est impératif de mener une réflexion approfondie sur les pratiques éco-responsables des professionnels du tourisme sportif (Mounet, 2007), comme le souligne Jérôme Blanc-Gras dans son livre « Roc » (2010) : le défi réside dans la préservation de ces environnements tout en garantissant la sécurité et le plaisir des participants.
On peut alors se demander comment le développement croissant de l’escalade et du canyoning dans l’Hérault, ainsi que leurs impacts non négligeables, influencent-ils les logiques d’actions des gérants de structures dans l’Hérault ?
Les « logiques d’action » (Amblard et al., 2005) des acteurs du tourisme sportif pourraient nous permettre d’appréhender leur engagement en matière d’éco-responsabilité. Ces logiques offrent une opportunité de comprendre ce qui engage les professionnels du tourisme sportif dans leurs démarches éco-responsables ainsi que leur sensibilité aux enjeux environnementaux, sociaux et économiques associés à leur activité. Il s’agit également de comprendre leur rôle dans la promotion du développement durable, que ce soit à travers la sensibilisation des clients, la gestion des ressources naturelles, ou d’autres initiatives innovantes.
Il convient donc d’interroger les acteurs du secteur sur la façon dont ils intègrent le développement durable dans leurs activités de pleine nature. On peut alors s’interroger non seulement sur l’adoption de pratiques éco-responsables, mais également sur la transformation structurelle au sein de leurs entreprises. Cette évolution met en évidence les opportunités et les défis qui émergent dans la transition vers un tourisme plus durable, lesquels se reflètent dans la conception de leurs offres de services. Ainsi, quelles sont leurs pratiques et comment mettent-ils en place leurs offres, et quelles sont leurs perspectives d’évolution concernant les questions d’éco-responsabilité ?
Pour analyser les comportements des acteurs du tourisme sportif de nature, on peut relever quatre pôles structurels (Perrin-Malterre, 2014). Tout d’abord, la logique sociale qui représente l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle des gestionnaires. Ensuite, la logique pratique présentant la satisfaction des clients et la sensibilisation à l’éco-responsabilité. De plus, la logique sportive qui correspond à la sélection des sites et la qualité environnementale des pratiques. Enfin, la logique organisationnelle qui décrit la gestion des ressources et la communication. À ces logiques, on peut ajouter la logique d’action éco-responsable, permettant de comprendre l’intégration de l’éco-responsabilité dans la pratique du canyoning et de l’escalade.
Les travaux de Perrin-Malterre (2014), qui ont suivi la méthodologie de Vachée, Corneloup et Soulé (2004), semblent pertinents pour aborder l’engagement des gérants de structure de canyoning et d’escalade. En effet, ces chercheurs ont identifié quatre logiques ou « pôles structurels » pour comprendre les acteurs du tourisme sportif de pleine nature. Ces pôles structurels offrent une grille d’analyse permettant de présenter et de comprendre les différentes logiques qui guident les comportements des gestionnaires de structures de canyoning et d’escalade. Les quatre logiques identifiées par Vachée et al. (2004) nous permettraient d’explorer les logiques d’actions des gestionnaires dans l’Hérault. La particularité de cette région, marquée par une forte attractivité pour ces activités, en fait un terrain d’étude idéal pour explorer les défis et opportunités liés à la promotion de pratiques éco-responsables dans le domaine du tourisme sportif. Cette approche s’inscrit dans une perspective de développement durable, où l’équilibre entre la dimension durable, sociale et économique est essentiel pour assurer la pérennité des activités de plein air.
Ainsi, la problématique serait de comprendre comment les gérants de structures de canyoning et d’escalade de l’Hérault intègrent-ils des logiques d’actions éco-responsables dans leurs offres de services ?
Dans ce sens, une première hypothèse poserait les gestionnaires comme étant davantage enclins à adopter des pratiques éco-responsables du fait de leur activité au cœur de la nature. Ainsi, cela nous amènerait à supposer que l’adoption de pratiques éco-responsables apparaît non seulement comme un moyen d’attirer une clientèle sensible aux enjeux environnementaux, mais également comme l’expression de leur engagement éducatif.
Par ailleurs, notre seconde hypothèse serait axée sur la sensibilité environnementale des gestionnaires en tant que moyen d’intégrer des pratiques éco-responsables dans leurs prestations. Cela supposerait alors que la sensibilité environnementale des gestionnaires serait un facteur déterminant dans l’adoption, ainsi que la promotion de pratiques éco-responsables dans leurs offres de services.
Méthodologie
L’objectif de cette étude est d’analyser comment l’éco-responsabilité est intégrée dans le secteur du tourisme sportif, en particulier dans les sports de nature, en examinant si elle constitue un changement fondamental ou simplement un outil de marketing. Pour ce faire, l’enquête se concentre sur les structures de canyoning et d’escalade dans le département de l’Hérault, une région propice à une exploration approfondie des dynamiques du tourisme sportif. De plus, la réalisation de cette enquête a été facilitée par un stage chez Naturéo Sport & Aventure, permettant un accès privilégié au terrain d’étude.
Pour recueillir les données, 5 entretiens semi-directifs ont été menés (Blanchet et Gotman, 2005). Cette approche permet une exploration plus souple, tout en évitant des réponses trop restreintes, permettant une flexibilité pour le recueil des informations. Face à des interlocuteurs travaillant parfois seuls et donc avec une grande charge de travail, cette méthode favorise des réponses plus détaillées et simples.
L’échantillon comprend 5 gestionnaires de structures de canyoning et d’escalade dans l’Hérault, sélectionnées en fonction de critères tels que le type de pratique et l’offre de services dans la région de l’Hérault. Ces entretiens ont duré entre 1h et 1h30 chacun en fonction des questions qui pouvaient être ajoutées au fur et à mesure. Afin de respecter l’anonymat des répondants, leurs prénoms ont pu être modifiés. Cette diversité d’échantillonnages, allant des petites aux plus grandes structures, vise à saisir la variété des approches éco-responsables présentes dans le secteur.
Répondant | Âge | Gestion | Activités |
Félix | 36 ans | Seul | Via Ferrata, Canyonning, Rando-rappel |
Étienne | 31 ans | 2 gérants | Canyonning |
Pascal | 51 ans | Seul | Escalade, Via Ferrata, Rando-rappel |
Fabrice | 41 ans | 4 gérants | Canyonning, Via Ferrata, Escalade |
Benoit | 38 ans | 3 gérants | Canyonning, Via Ferrata, Escalade |
Échantillon des gestionnaires de structure de canyoning et d’escalade interrogés. |
La conception du guide d’entretien s’est appuyée sur les principes définis en 2016 par Merriam et Tisdell, considérant qu’« un guide d’entretien est une liste de questions, d’éléments à discuter et de thèmes à aborder qui permet au chercheur de structurer l’entretien et de s’assurer qu’il couvre tous les aspects pertinents de la recherche. » Cette approche a permis d’explorer en profondeur les engagements, les valeurs et les pratiques éco-responsables de chaque répondant. Les entretiens ont ainsi fourni une compréhension détaillée des convictions et des actions des gestionnaires, permettant ainsi une analyse approfondie.
actions éco-responsables des gestionnaires de structures sportives de nature
« On peut essayer de faire en sorte que ça change »
Les gestionnaires de structures sportives de nature, acteurs majeurs des activités de plein air, influencent considérablement l’éco-responsabilité par leurs choix personnels. Une prise de conscience croissante de l’impact environnemental de leurs activités a été observée lors des entretiens avec les gestionnaires, bien que des divergences de points de vue soient observées concernant la mise en place de pratiques éco-responsables.
Les résultats des entretiens démontrent une diversité d’initiatives éco-responsables mises en place par certains gestionnaires, allant au-delà des simples intentions. En effet, Pascal affirme souligne « On essaie de sensibiliser les gens aux plantes. Au vivant qu’il y a là où on va, pas abîmer l’endroit et le rendre plus propre. »
Cette volonté de sensibiliser se manifeste également à travers des actions concrètes sur le terrain. Des politiques de gestion des déchets ont été instaurées, montrant ainsi une volonté d’adopter des pratiques éco-responsables, et ce au quotidien. En cela, on peut citer Étienne : « On ramasse les mégots et même du nettoyage de là où on est. S’il y a des déchets, on ramène en plus. On essaie vraiment. »
Cette approche démontre alors une ambition claire de protéger les sites naturels où se déroulent les activités. Les efforts pour gérer les déchets sont complétés par des initiatives visant à promouvoir des transports plus écologiques. En effet, la nécessité de repenser les modes de transport est également soulignée, avec des gestionnaires tels que Pascal et Félix (tous deux gérants de structure de canyoning et escalade), favorisant ainsi l’utilisation de transports collectifs pour accéder à leurs activités de canyoning et d’escalade.
Ces actions concrètes témoignent d’une volonté réelle de réduire l’impact environnemental de leurs activités de plein air et s’alignent ainsi avec les recommandations de l’UNESCO en matière d’éducation pour le développement durable (EDD).
De plus, Fabrice (41 ans, gérant d’une structure de canyoning et d’escalade) adopte un discours visionnaire, envisageant une transformation profonde de son secteur d’activité : « ça fait dix ans que je le vois arriver, donc je me dis qu’il faut transformer le métier. » Celui-ci montre son impact notamment par son modèle économique : « C’est mon modèle économique. Oui, on fait un modèle économique dans lequel je suis, donc c’est la coopérative, l’activité d’entrepreneur. C’est un modèle que j’essaye d’insuffler à travers la formation, à travers le SNAPEC[1] parce que c’est un modèle qui régit la clairvoyance et la lucidité. » Cette approche fait alors écho aux travaux de recherche de Michel (2002) sur le rôle de la sensibilisation environnementale dans le changement des comportements.
Ainsi, les actions de Fabrice, qui, par son implication dans des projets éducatifs liés à l’environnement, démontrent une sensibilité particulière à la question. Son discours reflète également une conscience aiguë des enjeux écologiques de ses activités, mettant ainsi en lumière l’impact de la sensibilisation environnementale.
Cependant, au sein de ce tableau optimiste, une voix discordante se fait entendre, comme celle de Benoit : « Pour moi, ce qu’on appelle à notre époque éco-responsable, c’est des choses qu’on fait déjà mais qu’on va mettre en avant pour dire « qu’on est formidables » et c’est juste de l’affichage publicitaire quoi. ». Dans une étude de Cordelier et Breduillieard concernant la publicité verte et le greenwashing, « Un sondage réalisé en 2008 annonçait que 64 % des grandes entreprises utilisent fréquemment dans leurs communications des arguments environnementaux et sociaux. » (2013, p.117).
Le point de vue émis par Benoit apporte une nuance à notre compréhension de l’éco-responsabilité dans le contexte des activités de pleine nature. Son scepticisme envers les pratiques éco-responsables soulève des interrogations quant à l’efficacité réelle de ces initiatives.
Ainsi, la dichotomie entre la vision ambitieuse de Fabrice et les réticences de Benoit met alors en évidence les nuances de l’éco-responsabilité dans ce secteur. Ces différences soulignent également les obstacles rencontrés. Malgré une prise de conscience croissante, des contraintes résident.
Par ailleurs, la vision de Fabrice illustre parfaitement la transition d’une simple conscience des problèmes environnementaux vers une responsabilité écologique plus large. Il incarne ainsi une nouvelle génération d’« éco-développeurs récréatifs », témoignant ainsi de la nécessité d’innover dans les pratiques liées aux activités de pleine nature. Il incarne un changement orienté vers la transmodernité dans le secteur du tourisme sportif et des activités de plein air (Perrin-Malterre, 2014). Selon Corneloup (2011), ce phénomène traduit une volonté de transcender les limites de la modernité en faveur d’un modèle de société plus durable.
Un tableau récapitulatif des actions des gestionnaires de structures de canyoning et d’escalade permet de représenter notre propos de façon plus précise :
Actions Éco-responsables | Félix | Fabrice | Pascal | Étienne | Benoit |
Utilisation de transports écologiques | X | X | X | X | X |
Utilisation d’énergies renouvelables | X | ||||
Réduction de l’empreinte carbone | X | X | |||
Gestion de l’eau | X | X | |||
Partenariats avec des associations environnementales | X | ||||
Formation continue des employés | X | X | |||
Projets de restauration écologique | X | ||||
Promotion du tourisme durable | X | X | |||
Certification éco-responsable | X | ||||
Équipements éco-conçus | X | X | |||
Réduction des plastiques à usage unique | X | X | X | ||
Ramassage des déchets | X | X | X | X | X |
Sensibilisation environnementale | X | X | X | ||
Adoption d’actions éco-responsables dans le quotidien | X | X | X | X | X |
Adoption d’un modèle économique durable | X | ||||
Critique des pratiques éco-responsables | X |
Ce tableau des actions des gestionnaires de structures de canyoning et d’escalade met en évidence la diversité des approches en matière d’éco-responsabilité, permettant ainsi d’avoir une vision plus globale des initiatives concrètes mises en place. Les pratiques telles que l’utilisation de transports écologiques ou le ramassage des déchets sont des actions adoptées par la majorité des gestionnaires, ce qui montre qu’elles sont largement perçues comme des gestes essentiels et faciles à mettre en œuvre. Cependant, des mesures plus ambitieuses comme l’utilisation d’énergies renouvelables ou la certification éco-responsable sont moins fréquentes. D’autre part, il est intéressant de noter que Benoit, contrairement aux autres, adopte une posture différente vis-à-vis des pratiques éco-responsables, ce qui révèle une certaine diversité dans les engagements écologiques. Ainsi, comment cette prise de conscience de l’impact environnemental des gestionnaires de canyoning et d’escalade se traduit-elle dans leurs pratiques quotidiennes mais aussi dans le collectif ?
De la prise de conscience éco-responsable à l’engagement collectif
En passant par l’exploration des actions concrètes des gestionnaires aux manières d’intégrer des logiques éco-responsables, il est désormais question de s’intéresser à la prise de conscience individuelle, à la base des actions concrètes mises en place, influencée par une conscience collective omniprésente dans notre société actuelle.
Ce processus implique donc une évolution des mentalités de façon individuelle, vers une compréhension plus globale des enjeux environnementaux, et ce de manière collective. Il s’agit d’une dynamique où les individus passent de la prise de conscience personnelle à la collaboration avec d’autres acteurs du secteur pour mettre en place des solutions durables pour dépasser le simple « affichage ». Cette évolution témoigne non seulement d’un changement dans les pratiques individuelles, mais également de la construction d’une communauté engagée dans la préservation de l’environnement et la promotion du développement durable dans le domaine des activités de pleine nature.
Des actions concrètes liées à des convictions personnelles : une dualité entre les individus et le collectif.
La prise de conscience individuelle des gestionnaires de structures de canyoning et d’escalade est profondément influencée par une dimension collective et un contexte actuel de sensibilisation environnementale. Cette interaction entre conscience personnelle et dynamique collective émerge comme un thème central, où la proximité quotidienne avec la nature conduit les gestionnaires à développer une conscience écologique.
Les préoccupations majeures des gestionnaires, telles que la sécurité des participants, illustrent cette conscience écologique collective. Pour Étienne, par exemple, la sécurité des participants est primordiale, et cette préoccupation est partagée avec ses collègues et les participants eux-mêmes, qui posent régulièrement des questions sur le nombre de personnes par groupe : « Les gens ils demanderont tout le temps plutôt pourquoi on n’est pas moins ? ». Pascal, quant à lui, attache de l’importance à sa prise de décision pour son entreprise : « Et puis c’est surtout de pouvoir garder la mainmise sur toutes les décisions, et non pas un conseil d’administration qui aurait pu décider à ma place de certaines choses. » Cette prise de conscience personnelle, influencée par le collectif, vise à éviter des changements en matière d’éco-responsabilité qui pourraient affecter leurs pratiques quotidiennes.
Cette approche collective chez les gestionnaires est un moteur clé pour la mise en place d’actions éco-responsables. Fabrice, en soulignant la nécessité de repenser le tourisme dans son ensemble, incarne cette nouvelle génération d’« éco-développeurs récréatifs », dont la conscience individuelle est enrichie et soutenue par les discussions avec d’autres acteurs du secteur. Cependant, des défis de sensibilisation persistent, comme le montre le scepticisme de Benoit. Certains participants aux activités de canyoning et d’escalade sont réceptifs aux messages de protection et la sensibilisation environnementale, mais ce sont souvent les activités elles-mêmes qui vont influencer la décision des clients. Benoit explique : « Donc après ce qu’ils viennent chercher, ben moi je ne sais pas, ils viennent chercher ce que je mets en avant. Forcément sinon les autres qui sont intéressés par autre chose, ben ils vont pas m’appeler parce qu’ils n’auront pas vu que je proposais de faire ça, ils n’ont pas vu cet état d’esprit dans lequel je propose l’activité. » Benoit met ainsi en lumière un aspect crucial de la gestion éco-responsable : l’importance de la communication et de la visibilité des actions éco-responsables. Son discours souligne que, malgré une prise de conscience personnelle et une volonté de promouvoir des pratiques éco-responsables, l’impact réel dépend également de la manière dont ces initiatives sont perçues et recherchées par les clients. Cela révèle un défi supplémentaire pour les gestionnaires : non seulement adopter des pratiques éco-responsables mais aussi les mettre en avant de manière claire et attractive.
Par ailleurs, la prise de conscience des défis de sensibilisation et la mise en place d’actions éco-responsables des gestionnaires ne se développent pas en vase clos. Elle est fortement influencée par un cadre législatif et collectif qui oriente et encadre leurs décisions. En effet, le développement des sports de nature en France s’appuie notamment sur la loi montagne de 1985, établissant un cadre juridique pour réglementer les activités de loisirs. De plus, la recherche d’une pratique sportive plus respectueuse de la nature s’aligne avec la nécessité croissante de préserver l’environnement (Zaoual, 2007). Ce cadre législatif impose alors aux gestionnaires de respecter des normes ainsi que des directives qui favorisent des pratiques éco-responsables. Ainsi, les initiatives prises par les gestionnaires sont, non seulement le reflet de leurs convictions personnelles et collectives, mais aussi une réponse aux exigences légales et aux attentes sociétales. Fabrice, par exemple, utilise des méthodes pédagogiques ludiques lors de ses activités de canyoning, transformant ces moments en « moments de transmission » (Perrin-Malterre, 2014, p.7). En effet, il explique : « Si j’ai un client qui prend l’avion ou qui arrive en 4×4 et tout. Je prends la température, je dose le curseur, mais c’est ma première approche […] Je vais consacrer entre cinq et dix minutes sur l’environnement à chaque fois »
Cette approche concorde alors avec le Code de l’Environnement et les directives de la Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade, soulignant l’importance d’une approche sécurisée et encadrée. En cela, ces pratiques éco-responsables sont alors des piliers pour les gestionnaires, qui deviennent alors de réels acteurs éco-responsables dans le domaine du canyoning et de l’escalade.
Ainsi, la prise de conscience et l’engagement individuel des gestionnaires de canyoning et d’escalade impactent leurs pratiques au sein de leurs structures. En cela, comment l’engagement de chacun des gestionnaires contribue-t-il à une responsabilité partagée au sein de la communauté des sports de nature ?
Responsabilités environnementales : pratiques individuelles et actions collectives.
Les activités de canyoning et d’escalade posent des défis environnementaux qui amènent ainsi à une réflexion sur les responsabilités individuelles de chacun. Cette responsabilité individuelle influence le collectif et les usagers. En intégrant des pratiques éco-responsables dans leurs offres, les gestionnaires agissent comme des vecteurs de changement. La mise en œuvre de programmes éducatifs, de politiques de gestion des déchets et l’utilisation de transports plus écologiques démontrent une volonté de répondre aux préoccupations environnementales. C’est le cas de Félix, qui met en avant son engagement à consommer localement et ainsi à promouvoir des pratiques éco-responsables dans son quotidien. Il souligne : « On essaie de responsabiliser les gens sur ce qu’ils voient en effet, et essayer de leur dire voilà, c’est oui. Si c’est beau, c’est pour une raison et on veut le préserver. ». Ainsi, certains traduisent leurs convictions en initiatives concrètes, renforçant ainsi le lien entre sensibilisation personnelle, collective et actions environnementales. Ainsi, cela permet de créer une dynamique où la conscience personnelle des gestionnaires se nourrit et se renforce grâce au collectif.
En 2015, selon le Pôle Ressources National Sports de Nature du Ministère des sports, les sports de nature vont au-delà de l’aspect sportif, jouant un rôle éducatif crucial. De plus, pas plus tard que l’année dernière, en juin 2023, le Ministère chargé des Sports à mis en place le projet « Sports dans la Nature » afin d’encourager les activités sportives de plein air, tout en préservant les espaces naturels. Ce guide offre des conseils pour pratiquer du sport tout en respectant les milieux naturels. Il offre également des informations importantes sur l’espace naturel ainsi que des programmes éducatifs pour sensibiliser à la protection de l’environnement. On y retrouve aussi des offres adaptées à tous les niveaux qui mettent l’accent sur la sécurité et le respect des milieux naturels. Ainsi, la sensibilisation aux pratiques éco-responsables s’impose comme des impératifs. Cette sensibilisation va au-delà des relations avec les clients. Elle est en direction également des relations professionnelles. Afin de formaliser et de structurer ces pratiques éco-responsables, Fabrice a instauré une charte éthique interne au sein de son entreprise. Cette charte vise à garantir de bonnes conditions de travail ainsi qu’un modèle salarial équitable : « Si on a des collègues qu’on va faire bosser, on leur demande de respecter notre charte éthique. On met un cadre de travail pour respecter nos conditions. On ne travaille pas avec tout le monde. On a quelques moniteurs avec qui on se sent bien de travailler parce qu’ils ont une bonne approche et tout. C’est un code de travail, quoi. ». Le discours de Fabrice n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une approche plus large, comme l’illustre le Pôle Ressources National Sport de Nature qui soulignait que « Les acteurs et pratiquants des sports de nature ont conscience des enjeux environnementaux et de l’importance de leur potentiel rôle éducatif en la matière. » (2002)[2]. Ainsi, les initiatives individuelles se transforment en actions collectives.
Dans ce sens, les entretiens mettent en évidence des variations dans les niveaux d’engagement. Certains gestionnaires traduisent leurs convictions éco-responsables en initiatives concrètes, tandis que d’autres expriment un scepticisme envers la mise en place réelle de pratiques éco-responsables. Ces différences de niveaux d’engagement observées peuvent être discutées à travers les concepts de RSE cosmétique et RSE intégrée[3]. En effet, certains gestionnaires semblent adopter une approche de RSE cosmétique, se conformant principalement aux exigences légales sans nécessairement intégrer des pratiques éco-responsables dans leurs activités : « L’entreprise tente de répondre (…) individuellement (au moins à travers les outils mis en place) à des relations particulières entre elle-même et ses parties prenantes. Elle adapte son niveau d’action et d’information à la nature et à la sensibilité de ses parties prenantes. » (Gabriel, 2005, p.202).
Cependant, les entretiens révèlent que la majorité des gestionnaires intègrent activement des pratiques éco-responsables au sein de leurs structures, adoptant ainsi une approche de RSE intégrée. Bien que Benoit critique cette évolution, considérant cela superficielle et motivée par des intérêts marketing, il est important de comprendre que cette transition vers une RSE intégrée est déjà en place. En cela, bien que des différences persistent dans la manière dont les gestionnaires mettent en place des pratiques éco-responsables, l’engagement collectif ainsi que l’évolution des mentalités jouent un rôle crucial.
Ainsi, nos résultats mettent en lumière la reconnaissance et l’intégration des responsabilités environnementales de la part des gestionnaires de structures de canyoning et d’escalade. Ces résultats suggèrent également une discussion autour de la notion de norme collective. Les travaux de Rogers (2002) sur la diffusion de l’innovation pourraient être pertinents pour discuter de la dynamique de changement dans les sports de nature. Ce processus permettrait alors de comprendre comment les pratiques éco-responsables peuvent passer de simples initiatives individuelles à des normes collectives.
Conclusion
Cette étude sur les pratiques éco-responsables dans les activités de canyoning et d’escalade a révélé des perspectives pour l’avenir du tourisme sportif de pleine nature. Les entretiens menés auprès des gestionnaires de structures de canyoning et d’escalade ont permis de comprendre l’adoption des pratiques éco-responsables ainsi que leur engagement individuel mais aussi collectif.
L’hypothèse concernant le fait que les gestionnaires, en raison de leur activité en lien direct avec la nature, sont davantage enclins à adopter des pratiques éco-responsables est partiellement confirmée. Les gestionnaires expriment un fort engagement envers la protection de l’environnement. Cependant, pour valider pleinement cette hypothèse, il serait pertinent d’observer les pratiques sur une période plus longue ou avec d’autres secteurs d’activités.
Ensuite, les entretiens révèlent que la sensibilité environnementale personnelle des gestionnaires joue un rôle crucial dans l’intégration de logiques éco-responsables. En effet, les gestionnaires traduisent régulièrement leurs convictions personnelles en actions concrètes au sein de leurs structures. Cela s’observe avec l’adoption de pratiques éco-responsables et la sensibilisation des clients à l’environnement. Cette hypothèse est donc largement confirmée par les résultats de cette étude.
Afin de renforcer les pratiques éco-responsables et suite aux entretiens, plusieurs recommandations peuvent être faites. Tout d’abord, la mise en place d’outils technologiques, telles que des applications mobiles éco-responsables, pourrait sensibiliser les utilisateurs et faciliter la transition vers un tourisme plus vert. Ces applications pourraient favoriser le covoiturage, partager des pratiques éco-responsables, et créer une communauté engagée autour de la préservation de l’environnement.
De plus, une approche collaborative impliquant les gestionnaires, les décideurs, les organisations environnementales et la clientèle est nécessaire pour renforcer les pratiques éco-responsables. Les gestionnaires jouent un rôle essentiel en mettant en œuvre des initiatives durables au sein de leurs structures. Les décideurs et les organisations environnementales, quant à eux, peuvent influencer et soutenir ces pratiques. L’unité doit ainsi venir dans le collectif afin que les actions mises en place individuellement puissent être menées à bien. Ainsi, la promotion de pratiques éco-responsables dans les activités de canyoning et d’escalade dans l’Hérault représente un défi complexe mais essentiel.
Par ailleurs et pour aller plus loin, il est crucial d’évaluer si les actions des gestionnaires de structures de canyoning et d’escalade représentent un changement fondamental ou simplement un affichage superficiel, proche du « greenwashing », mais cela à plus grande échelle. En s’appuyant notamment sur les travaux de Desreumaux (2005), on comprend que deux visions du comportement organisationnel coexistent : la RSE comme un moyen d’augmenter la légitimité de l’entreprise et la RSE basée sur des décisions stratégiques. Ainsi, cette distinction serait essentielle pour déterminer si les actions éco-responsables dans le tourisme sportif de pleine nature viseraient à répondre aux attentes institutionnelles, ou découleraient d’une vision plus stratégique, créatrice de valeur pour l’entreprise.
Bibliographie
Amblard, H., Bernoux, P., Herreros, G., Livian, Y-F. (2005). Les nouvelles approches sociologiques des organisations. Paris, Seuil.
Blanchet, A., Gotman, A. (2005), L’enquête et ses méthodes : L’entretien. Armand
Cordelier, B. & Breduillieard, P. (2013). Publicité verte et greenwashing. Management & Prospective, 30, 115-131. https://doi-org.ezpum.scdi-montpellier.fr/10.3917/g2000.306.0115
Corneloup, J. (2011). La forme transmoderne des pratiques récréatives de nature. Développement Durable et territoires. [En ligne], Vol. 2, n° 3
Martinet, A. & Payaud, M. (2007). Formes de RSE et entreprises sociales: Une hybridation des stratégies. Revue française de gestion, 180, 199-214. https://doi.org/10.3166/rfg.180.199-214
Mounet, JP (2007). Sports de nature, développement durable et controverse environnementale. Natures Sciences Sociétés, 15, 162-166. https://www.cairn.info/revue–2007-2-page-162.htm.
Perrin-Malterre, C. (2014). La mobilisation du développement durable dans les pratiques professionnelles des prestataires sportifs et touristiques. Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 5, n°3.
Perrin-Malterre, C. (2014) Les éco-développeurs récréatifs : une troisième génération de prestataires sportifs ? in Jean-Paul Callède, Fabien Sabatier, Christine Bouneau (dir.), Sport, nature et développement durable. Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2014
Rogers, E. M. (2002). Diffusion of preventive innovations. Department of Communication and Journalism, University of New Mexico, Albuquerque, NM 87131-1171, USA.
Zaoual.H (2007), Du tourisme de masse au tourisme situe : quelles transitions ?, Marché et organisations, 1 N° 3, p. 155-182.
[1] Le SNAPEC est le Syndicat National Des Professionnels Escalade et Canyon.
[2]https://www.sportsdenature.gouv.fr/data/userfiles/seminaires/sneete/Quels-enjeux-environnementaux-pour-les-sports-de-nature-CREPS-PRNSN.pdf
[3]« la RSE intégrée concerne des actions en relation avec les activités de l’entreprise, c’est-à-dire proches du cœur de métier. » (Martinet & Payaud, 2007, p.203).