Naturisme et esthétisme, des valeurs mises à nu

Né à la fin du XVIIIe siècle en Allemagne le naturisme prône une éthique de vie fondée sur une relation saine, authentique et vraie avec la nature. Cette doctrine met en avant des valeurs morales qui vont être bousculées par les normes corporelles qu’impose la société actuelle. Notre travail s’est orienté vers une analyse des concepts de cette « art de vivre » et des conséquences de la société sur l’altération de ses valeurs représentatives. Après une partie théorique focalisée sur les principes du naturisme et celui de l’esthétisme du corps véhiculé par la société, l’étude de terrain met en lumière les diverses représentations du corps de générations différentes et l’impact considérable des nouveaux médias sur la norme corporelle.

De la genèse d’Adam et Ève à la Grèce antique, de la Rome antique à la Renaissance, du siècle des Lumières au milieu du XVIIIe siècle, les différentes périodes qui ponctuent l’histoire de l’humanité ont toujours suscité un intérêt particulier pour la nudité. C’est à la fin du XVIIIe siècle que le mot naturisme est apparu (Barthe-Deloizy, 1992). Il associe les idées de santé et de nature et ne se réclame d’aucun parti politique, d’aucune nation, d’aucune idéologie mais a mis en forme des discours, une organisation, des principes et une attitude à l’égard de la société. Les travaux de Norbert Elias (2004) interprètent le naturisme comme « une activité de loisir, pratiquée dans un cadre géographiquement et chronologiquement balisé, apparaissant comme une expérience de relâchement temporaire de la contrainte sociale ». Selon la définition de la Fédération Française de Naturisme, il « se traduit comme une manière de vivre en harmonie avec la nature, caractérisée par la pratique de la nudité en commun, ayant pour but de favoriser le respect de soi-même, le respect des autres et de l’environnement, ce mouvement prône la proximité avec la nature, le retour à un état naturel… ». Le naturisme émerge majoritairement dans les années 1950, 1960 en s’intégrant au tourisme « d’infrastructure » en Yougoslavie, dans le sud de la France, puis en 1980 en Espagne. Ce mouvement construira, par l’investissement narcissique des corps sur les plages, une identité profonde des naturistes (Jaurand, 2008). Cependant le corps revêt, dans notre société, une place importante et pourtant susceptible d’être source de complexes. Selon Jean Maisonneuve (1999), l’histoire manifeste un culte de l’apparence et une préoccupation d’une norme corporelle renforcée par le leitmotiv des médias. Il apparaît qu’ils jouent un rôle décisif dans la diffusion des normes de la société (Rodgers, 2009). Ils mettent en lumières des modèles esthétiques relayant les normes que souhaite imposer la société dont l’objectif est d’induire une adhésion massive à ces nouveaux archétypes avec l’optique de les assujettir à un système capitaliste où la beauté est produit de consommation. Ainsi ces normes corporelles sont véhiculées par le biais des magazines, des publicités, du cinéma qui s’affranchissent des frontières. De plus ce phénomène peut être renforcé par l’effervescence des médias et notamment par celui des nouveaux réseaux sociaux utilisés par la génération Y : né entre 1981 et 1999. Cette génération dite « connectée » est plus à même d’utiliser les nouvelles technologies et d’exhiber son corps par le biais des réseaux sociaux, ce qui aura pour conséquence d’exposer la personne aux regards d’autrui et de susciter admiration ou rejet auprès des individus. Face aux diktats esthétiques de la société, nous pouvons nous demander si les valeurs du naturisme, dont la volonté d’un retour à un état naturel, de liberté et de tolérance, en sont altérées. L’étude que nous réaliserons sur des plages naturistes nous permettra de vérifier si cette manière de vivre libère des normes corporelles imposées, si le regard humain accepte le corps tel qu’il est réellement en dépit de l’émergence des médias et des réseaux sociaux relayant constamment des silhouettes normalisées. Autrement dit, nous pouvons nous demander dans quelle mesure les normes esthétiques qu’impose la société sont-elles amplifiées par les réseaux sociaux et en quoi bousculent-elles les valeurs prônées par le naturisme ?

Nous supposerons que les normes esthétiques imposées par la société modifient le rapport aux corps des nudistes sans omettre la prise en compte de l’aspect générationnel.

Une enquête à l’ESpiguette

La méthode utilisée afin de recueillir des données a été l’entretien semi-directif. Celui-ci combine attitude non-directive pour favoriser l’exploration de la pensée dans un climat de confiance et projet directif pour obtenir des informations sur des points définis à l’avance (Berthier, 2010, p.78). Dans le but d’analyser les données qualitatives des naturistes rencontrés sur la plage de l’Espiguette et via des sites web communautaires naturistes, une grille d’entretien a été élaborée au préalable avec des questions regroupées en quatre thématiques :

  • Thème 1 : La sensation, le ressenti d’être naturiste ;
  • Thème 2 : Les valeurs et la représentation du naturisme ;
  • Thème 3 : L’influence esthétique générationnelle ;
  • Thème 4 : La norme esthétique imposée par les médias et réseaux sociaux.

Il était prévu de poser les questions dans l’ordre mais leur formulation était aménagée au regard de ce que l’enquêté(e) aurait dit précédemment. Dans l’optique d’une interaction plus fluide et naturelle, une mémorisation préalable du guide d’entretien était nécessaire.

Afin de parvenir à construire notre échantillon, nous avons dû nous documenter pour connaître la localisation des plages naturistes de notre région. Notre choix s’est fixé sur la plage de l’Espiguette située au Grau du Roi, à 45 minutes de Montpellier en voiture. Nous nous sommes renseignés au préalable pour savoir si la plage était ouverte afin de nous rendre directement sur place. Le choix de la tenue vestimentaire n’est pas anodin pour aller à la rencontre des naturistes. Nous voulions être perçus comme un membre de la « communauté » non comme un « intrus » venant « en textile » d’où notre acte de dénudation afin de nous adapter complètement au terrain et aux enquêtés. La délimitation entre la plage nudiste et « textile » se comprenait grâce à un simple panneau symbolique. Avant de franchir cette limite, il nous a fallu un long moment avant d’oser « franchir le cap ». Notre première expérience sur cet endroit complètement inconnu nous mettait dans une position inconfortable et il était intéressant de le constater et d’en tenir compte pour le déroulement de l’enquête. Un long moment d’adaptation fut nécessaire avant de nous rendre à la rencontre des naturistes.

Afin d’obtenir un échantillon plus large et ainsi cibler des générations différentes et une plus grande diversité par genre des individus nous nous sommes inscrits en parallèle sur une plateforme naturiste nommée « Zerokini ». Cette plate-forme est un réseau social spécialisé dans le naturisme qui rassemble plus de 4 000 adhérents sur son site internet dont 80 % en France. Notre démarche pour contacter les naturistes sur le web a consisté à créer un profil et rédiger une petite annonce sur le site naturiste. Ainsi notre annonce comprenait : nom, statut d’étudiant, le thème de la recherche « le rapport au corps et nudité », l’utilité qu’allait apporter cette enquête à savoir la représentation subjective des naturistes sur leur propre corps, le type de questions que nous allions poser, la confidentialité de l’entretien, sa durée, et les coordonnées de l’enquêteur pour une prise de contact plus rapide et plus efficace.

Afin de répondre à notre problématique, nous nous sommes appuyés sur le point de vue des naturistes rencontrés sur la plage de l’Espiguette (n=3) et sur le site « Zerokini » (n=2). Au total cinq interviews ont pu être réalisées. Dans l’ensemble la tranche d’âge des interviewés variait de 24 à 55 ans. Nous avons donc catégorisé cet échantillon par tranches d’âge et par génération.

Tableau 1, L’échantillon d’analyse : Présentations des cinq naturistes interrogés

Convergence et divergence de ressentis générationnels

Sensation et représentation du naturisme

On constate parmi l’échantillon étudié une convergence de ce que peut représenter le naturisme pour les différentes générations interrogées. Selon Bolton et al. (2013) des générations peuvent être catégorisées de la façon suivante : la génération silencieuse (1925- 45), les baby-boomers (1946-60), la génération X (1961-81) et la génération Y (née entre 1981 et 1999). Parmi les échantillons interrogés nous avons noté les ressentis de Yohan âgé de 27 ans « on goutait à une certaine liberté… » et celui de Michel âgé de 56 ans « c’est un retour aux sources, à un état de bien être, on se sent libre un peu ». Cette représentation reste inchangée au regard des générations concernées et se conforme aux valeurs du naturisme que décrit Barthe-Deloizy (2003). En effet l’auteur associe le mot naturisme aux idées de santé et de nature et exprime une qualité de vie fondée sur le respect de l’autre, et sur la protection de la nature par la pratique d’une dénudation quotidienne et collective. Il ajoute que le naturisme conjugue des sensations de liberté, de temps libre ou le corps exulté, de fusion avec la nature. Selon l’auteur cette liberté s’est amplifiée vers les années 1960 avec la libération des mœurs et de la liberté sexuelle. Ainsi des actions symboliques ont pu se manifester pendant cette période.

La journée soutien-gorge proclamée par les Américains, appelée le No Brass Day, les manifestations hippies qui selon Michel Bernard (2015) deviennent « un moyen de retour à la nature, de redécouverte de l’innocence corporelle bafouée quotidiennement par l’obscénité de la guerre et de l’exploitation ». Cette manifestation traduit une évasion par la pratique de la dénudation afin de réhabiliter les valeurs corporelles « comme subversion d’un ordre institutionnel dépravé par l’argent et l’appétit de richesse » (Ibid.).

Dénudation & esthétisme

Pour les deux générations les premières dénudations se sont pratiquement déroulées au même âge, en moyenne vers 22 ans. Cependant, on constate qu’elles ont fait l’objet de ressentis différents au sein des deux générations. La génération Y a éprouvé une sensation de gêne par crainte d’être jugée physiquement : « j’avais peur qu’on me juge clairement, par rapport à mon physique » (Fidi, 24 ans). Comme l’ont amplement démontré les études dans les années 2000, un élément essentiel de la beauté féminine idéalisée dans les sociétés occidentales est une taille corporelle mince, une silhouette courbée, un physique attrayant et une minceur irréaliste (Perloff, 2014). L’internalisation de l’idéal de minceur pour les femmes trouve ses racines dans une foule de forces sociales et culturelles, notamment les pressions exercées pour se conformer aux idéaux socialement définis d’attrait physique, de l’influence des pairs, des représentations médiatiques, de représentations symboliques, culturelles, voire idéologiques, de la beauté féminine (Ibid.). Un autre phénomène important est l’auto-objectification, le processus par lequel les filles et les femmes en viennent à considérer leur corps comme un objet à regarder, un peu comme le ferait un observateur (Ibid.). Cette intériorisation psychologique de la perspective de l’observateur sur son corps peut conduire à une surveillance obsessionnelle du corps, qui peut à son tour induire des perturbations subjectives de sa propre image corporelle, une expérience courante  qui  a  été  qualifiée  de « mécontentement normatif » selon Perloff (2014). On note que vers la fin des années 1970, le corps nu esthétisé commence à s’exposer un peu partout. En effet, selon Barthe-Deloisy (2003) le nu s’affiche dans les villes et dans les médias de masse. La presse ainsi que la télévision rendent le nu familier au grand public. Des slogans sont restés historiques comme « aujourd’hui j’enlève le haut… puis le bas », « Plutôt à poil qu’en fourrure » mettant en scène des comédiennes et des top-modèles militantes de la cause animale (Barthe- Deloisy, 2003). On remarque que ces premières représentations du corps, dont les médias sont un puissant révélateur à cette époque, renvoient à zéro défauts. « Mince, jeunes parfaites, elles imposent des normes esthétiques que réfute l’éthique naturiste » (Ibid.) et qui ne semblent pas avoir d’effet sur la génération X : « nan nan moi j’ai pas senti de jugement » (Gilles, 55 ans), « Non honnêtement tout s’est fait naturellement comme je l’ai dit, j’avais pas l’impression qu’on me regardait, ou qu’on me jugeait » (Nadine, 51 ans). Cependant, insidieusement, les prémices d’une intériorisation normative esthétique s’installera auprès des générations futures par le biais des nouveaux médias.

Omniprésence d’image esthétisée

On constate actuellement une accentuation significative des normes esthétiques que la société veut imposer auprès de la génération Y. « Dans la société́ dans laquelle nous vivons on est jugé sans arrêt, donc si on n’est pas un peu musclé, qu’on prend du poids, on risque d’être montré du doigt » (Yohan, 27 ans). Selon Eglem (2003), la génération Y subit les normes esthétiques corporelles que lui renvoient les médias et davantage par les réseaux sociaux. En effet, ces derniers amplifient la capacité à exposer l’individu et son corps et facilitent les possibilités de le contempler à l’envi déclenchant ainsi admiration, désir, dégoût, et normalisation identitaire des individus pour appartenir à un même groupe. Selon l’auteur il s’agit de cas pratiques qui permettent l’accès au corps souhaité et donc à une certaine esthétique de ce corps. La génération X quant à elle ne s’est pas senti affectée par la norme corporelle de la société ni par le regard des autres « les gens regardent sans forcément avoir un jugement, juste parce que vous faites du mouvement » (Fabien, 48 ans). La pression normative au moment de l’acte de dénudation semble plutôt minorée par la génération X.

Médias et réseaux sociaux

Nous percevons donc que les normes esthétiques émanant des médias et certains réseaux sociaux ne se conjuguent pas de la même façon selon la génération X ou Y étudiée. « Je trouve qu’on est un peu obligé entre guillemets parce qu’avec l’arrivée de tous les réseaux sociaux comme Snapchat, Insta, Facebook c’est vrai je fais très attention à l’image que je peux renvoyer » (Yohan, 27 ans). Selon Lionel Dany et Michel Morin (2010), ces problématiques liées à l’image corporelle, au corps et à l’apparence sont prégnantes à l’adolescence. Cette période se retrouve être une « une période importante pour l’élaboration de points de vue sur soi-même et le monde, [..], du fait que la puberté entraîne tout un ensemble d’évènements et de changements relatifs au corps » (Dany et Morin, 2010, p.322). L’image corporelle est alors essentielle pour la définition personnelle des adolescents et des jeunes adultes, elle porte à croire par le biais de la socialisation digitale que leur apparence constitue « la base quasi- essentielle de leur évaluation personnelle et de celle opérée par autrui ». Ainsi elle entraînerait une insatisfaction corporelle qui pourrait se traduire par un mécontentement normatif (Ibid.). Cette image corporelle se trouve être omniprésente sur les réseaux sociaux, par rapport aux médias de masse amplifiant alors une pression esthétique auprès de la génération Y « On vit dans une société en effet, où on a tous des réseaux sociaux, donc heu… l’image est très très importante » (Fidi, 24 ans). Perloff (2014), met en exergue une différence entre les médias dits conventionnels (télévisions, magazines, radio…), et les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Instagram…). Selon lui les réseaux sociaux ont la possibilité d’être remplis de photos et d’une multitude d’images peu réalistes qu’une adolescente ou une jeune femme peut avoir repéré et relayé sur sa page. En outre ces plateformes sont disponibles pour la visualisation, la création de contenu et l’édition 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sur des appareils mobiles, partout et à chaque instant, ce qui permet d’offrir un nombre exponentiel de possibilités de comparaison sociale et de surveillance dysfonctionnelle de son propre corps, mieux que ne le permettaient les médias de masse conventionnels. De plus, selon Eglem (2003), les réseaux sociaux diffusent différentes tendances esthétiques et valeurs dans lesquelles les individus cherchent à s’insérer par goût ou pour faire partie d’un groupe considéré comme attractif. Selon les travaux de l’auteur, les types esthétiques du corps sont ainsi décrits comme « standardisés » et suivent des directives prédéfinies et diffusées par les médias (notamment les réseaux sociaux) et identifiables par certains signes extérieurs : forme du corps, marques utilisées, alimentation, type de loisirs, expression de langage etc. L’observation réalisée par l’auteur sur le réseau social Instagram conduit à distinguer plusieurs types d’esthétique classés par catégories. Les catégories qui apparaissent le plus clairement sont celles qui mettent en valeur le corps ou les parties  du  corps  faisant  l’objet  d’une attention particulière auprès de la génération Y, et Millénium (née à partir de l’an 2000) et que l’on cherche à développer (par exemple faire augmenter le volume de la masse musculaire).  De  nombreuses photographies postées sur Instagram montrent ainsi des plats ou des aliments visant à conserver ou augmenter la masse musculaire ou développer une alimentation saine (Eglem, 2003). Selon l’auteur il s’agit de cas pratiques qui permettent l’accès au corps souhaité et donc à une certaine esthétique de ce corps. De plus, de nombreux slogans présents sur Instagram sont relayés par des influenceurs qui selon Audigie (2004) sont définis comme des leaders d’opinions. Ils ont pour objectifs de changer le comportement de leur auditoire appelés followers dans l’optique de leur faire consommer le produit, le service ou de faire adopter un comportement souhaité. Ce marketing d’influence est utilisé par les entreprises pour élargir leur clientèle et dynamiser la vente de produits et le service (Darel, Nico & al. 2017). Ainsi, les influenceurs, par le biais de slogans, incitent à la persévérance dans la quête de ce corps et ou dans l’adoption des valeurs qui l’accompagnent. Selon Darel (2017), « Le développement des réseaux sociaux a pu, petit à petit, rendre naturelle la diffusion de photos qui sont autant d’images de la vie parfaite, dans une tentative plus ou moins consciente de provoquer l’admiration ». Selon Eglem (2003) le quotidien est ainsi théâtralisé par une démarche d’esthétisation de chaque instant, à partir d’une conscience préexistante des scènes les plus à même d’avoir une répercussion positive en termes de réception par les autres utilisateurs. L’auteur décrit notre temps par la généralisation des technologies de diffusion et de partage, et la possession massive de smartphones qui mettent en question la capacité à être pleinement attentif et concentré sur le moment présent.

Cette prépondérance des nouveaux médias, en particulier celui des réseaux sociaux, est source de forte influence auprès des individus et notamment auprès de la génération Y. Cette exposition précoce et fréquente à la technologie et aux corps esthétisés sur ces réseaux présente des avantages et des inconvénients en termes de résultats cognitifs, émotionnels et sociaux (Bolton & al., 2013). Par exemple, ils dépendent fortement de la technologie pour se divertir, et interagir avec les autres. Les réseaux sociaux tels que Instagram, Snapchat et Facebook peuvent stimuler le capital social des jeunes car leur identité est façonnée par ce qu’ils partagent sur eux-mêmes et, en retour, par ce que les autres partagent et disent sur eux, le corps esthétisé est alors au centre de toute les attentions. L’utilisation des réseaux sociaux peut avoir des effets salutaires supplémentaires sur le bien-être psychologique et émotionnel de la génération Y. Par exemple, elle peut renforcer les liens familiaux et favoriser d’autres relations sociales de soutien qui améliorent l’estime de soi de la Génération Y. Cependant elle peut créer une dépendance à ces moyens de communication et d’information. Bolton & al. (2013) souligne que les adolescents et les étudiants vérifient compulsivement les profils et les fils d’actualités sur les réseaux sociaux assistant alors à presque chaque instant une mise en scène des corps esthétisés.

A contrario, la génération X semble indifférente devant cette norme corporelle et dispose d’un recul face à ces nouveaux moyens de communications. Ils n’éprouvent pas le besoin d’adhérer aux réseaux sociaux et non  pas  baignés  dans  cet  univers.

« Quand on était adolescent, on avait pas tous ces moyens, tous ces réseaux sociaux… on se sentait bien » (Nadine, 51 ans). Les médias étaient moindres et les réseaux quasi inexistants pendant leur jeunesse. Cette pression esthétique a évolué au cours du temps par le biais de l’amplification des réseaux sociaux et comme le souligne Maisonneuve & Bruchon-Schweitzer (1999), cette normalisation esthétique traverse le temps. On s’aperçoit, si nous prenons l’exemple du corps féminin, que dans les années 1900-1925, les femmes « rondes » ou décrites en « chair » étaient convoitées par la gente masculine, en parallèle d’une mode « garçonne » caractérisée par une préférence des silhouettes plus minces. Transition de deux types idéaux, les années 1950 révèlent deux types féminins celui de la « vamp » plantureuse Marylin Monroe et celui de la femme- enfant, plus gracile Grace Kelly. Les années 1960, ont imposé un culte du corps relayé par un corps « svelte, longiligne » popularisé par les magazines féminins et médiatisé par la haute couture, cet idéal de beauté s’installe en norme. On s’aperçoit que cette norme corporelle présente au travers des médias et commence à s’intensifier par le biais de programmes de TV réalités « j’avais pris exemple sur un ancien candidat de Kholanta, quand je regardais son corps et après le mien, bah ça me mettait une petite motivation quoi » (Yohan, 27 ans), mais cette norme n’était pas aussi prégnante qu’aujourd’hui comme le souligne Michel, 56 ans : « moi j’ai une fille qui a 18 ans et elle me disait j’aurais aimé́ vivre à ton époque, à mon âge ». De plus, on constate que la génération X accorde davantage d’importance à la santé qu’à l’aspect esthétique de son corps. « Moi personnellement le corps est important pour la santé » (Nadine, 51 ans). Ce constat est un écho aux valeurs que renvoie le naturisme au sujet de la santé (Barthe-Deloisy, 2003).

Vers des valeurs pérennes

Nous pouvons réaliser que les ressentis des interviewé(e)s convergent sur la représentation des valeurs du naturisme à savoir de bien être, de liberté, d’un retour à  la  nature comme le mentionne Descamps (2002). Mais il est intéressant de constater qu’il y a une différence de point de vue générationnel lorsque nous parlons de ressenti de première expérience en naturisme. Les points divergent notamment à travers les époques respectives des interviewé(e)s. En effet pour Fidi et Yohan âgée respectivement de 24 et 27 ans, nous analysons lors de la première dénudation, une sensation de gêne due à la crainte d’être jugé, tandis que les générations un peu plus âgées ne semblent pas en être affectées. Malgré la différence d’époque, ils ont pour la plupart tous commencé le naturisme à l’âge de 20 environ, ce qui renvoie à ce que disait Maisonneuve & Bruchon- Schweitzer (1999) sur « une idéologie temporelle qui peut être altérée par le temps ». Mais il est intéressant de voir que les représentations subjectives de leurs corps étaient différentes suivant les époques (Ibid.), la norme peut prendre une évolution différente, les canons esthétiques véhiculés par une émergence des médias ont un impact conséquent sur les jeunes générations.

De ce fait, nous prenons acte d’une plus grande disparité générationnelle liée à l’importance du corps esthétique. A travers nos interviews, il apparaît nettement que l’apparence esthétique du corps ne revêt pas la même importance suivant les générations et les époques. A titre d’exemple, Fidi, 24 ans, nous expliquait qu’il serait très difficile pour elle de sortir en ayant de l’embonpoint, qu’elle se cacherait, d’où cette peur d’être jugée. Elle serait alors victime de processus d’exclusion car elle ne correspondrait pas aux normes et codes que la société veut imposer (Goffman, 1975). Yohan souligne également que l’apparition de nouveaux réseaux sociaux ajoute une pression supplémentaire sur l’apparence esthétique qui a pour lui une importance capitale, et que les médias et plus précisément les réseaux sociaux renvoient constamment à des codes esthétiques auxquels il convient de se conformer. Nous en déduirons donc que les jeunes générations sont plus touchées par cette pression esthétique.

A contrario, les personnes plus âgées comme Gilles 55 ans, Michel 56 ans, Nadine 51 ans, ne se soucient guère de ce que leurs corps peuvent projeter comme image. De leur première dénudation à l’âge de 20 ans à aujourd’hui, leur idéal reste inchangé privilégiant la santé à l’esthétisme corporel : les médias étaient moindres    (presse,     audiovisuel) et les réseaux sociaux inexistants (Instagram, Snapchat, Facebook, Twitter). Comme le dit Maisonneuve & Bruchon-Schweitzer (1999), ce pseudo narcissisme était déjà présent… mais n’était pas nourri avec autant d’intensité. Nous pouvons ajouter que certaines Télé-réalité ont façonné l’idéal corporel qu’ont d’eux-mêmes les jeunes naturistes en prenant l’exemple de Yohan qui se réfère à un candidat de Télé- réalité. Nos transcriptions reflètent une plus grande indifférence pour la génération X, qui n’a pas vécu l’omniprésence des médias actuels et qui ne se réfère pas aux réseaux sociaux n’en voyant pas l’utilité. En conclusion, ils attachent plus d’importance à leur santé et bien-être qu’à l’apparence de leur corps. En revanche, la fille de Nadine et Michel, également naturiste, âgée de 18 ans, subit de plein fouet cette pression médiatique : elle pense qu’il était plus confortable d’avoir 18 ans à l’époque de ses parents… Aussi pourrait-on traduire cette analyse par une amplification des médias et des réseaux sociaux sur la norme esthétique. Nous pourrons donc en déduire que la différence générationnelle met en évidence la prépondérance de l’image corporelle chez les plus jeunes alors qu’elle minore son impact chez les naturistes plus âgés.

Conclusion

Ce travail de recherche, qui mêle à la fois naturisme et impact des normes esthétiques sur les naturistes, a été mené sur les plages de l’Espiguette et par le biais du site internet naturiste Zerokini. Nous avons pu analyser et comparer les discours des naturistes d’âges variables. Il est intéressant de constater que les jeunes générations naturistes, a contrario des plus âgées, sont largement plus impactées par les médias que les anciennes. Les messages récurrents des médias et nouveaux réseaux sociaux décuplent l’accès aux images des corps esthétisés, reflets de la norme actuelle. L’accès facile et l’omniprésence de ce nouveau mode de communication conditionne et influence insidieusement ce rapport qu’entretiennent ces jeunes naturistes avec leur corps. De ce fait les valeurs prônées par le naturisme – de liberté, de tolérance, de pied d’égalité́ entre les individus selon Descamps (2002), et de relâchement de la contrainte sociale (Jaurand, 2008) – s’opèrent par une pression médiatique constante qui met en exergue un conformisme esthétique d’adhésion assujettissant ainsi les jeunes naturistes à un nouveau paradigme.

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