Le Développement Durable dans les logiques d’actions des prestataires de sports de nature du Sud de l’Aveyron
Millau, capitale des sports de nature implantée dans le sud de l’Aveyron, représente un lieu emblématique pour la pratique de certaines de ces disciplines sportives. Dans cette étude, nous nous attacherons à comprendre comment les prestataires du pays Millavois inscrivent leurs pratiques professionnelles dans la perspective du développement durable. Pour ce faire, nous avons mené une enquête qualitative par le biais d’entretiens semi-directifs. Nos résultats montrent que les pratiques des enquêtés évoluent vers une nouvelle forme de culture professionnelle plus respectueuse de l’environnement : La forme trans-moderne des pratiques récréatives de nature.
Nous connaissons, depuis ces trois dernières décennies, un engouement pour les sports de nature (Mounet, 2007) et nous savons aujourd’hui que ces activités peuvent avoir un réel impact sur notre environnement : piétinement, artificialisation des milieux, désertification des lieux de nidification de rapaces, les exemples ne manquent plus. Toutefois, le paysage professionnel de ce secteur semble tendre vers de nouvelles pratiques prenant en compte les enjeux actuels du développement durable. Il est utile de préciser que cela n’a pas toujours été le cas et les travaux de Corneloup et Bourdeau (2002) nous montrent l’évolution des cultures professionnelles du secteur.
Selon ces auteurs, la première génération de professionnels (culture moderne, 1930 à 1960) marquée par la culture montagnarde, mettait en avant l’apprentissage technique et valorisait l’aspect sportif des activités. La seconde génération (culture post-moderne) apparue dans les années 1980 ouvrira de nouvelles perspectives pour se professionnaliser dans les sports de montagne : formations universitaires, formation à l’entreprenariat, etc. Les métiers évoluent donc pour répondre à une nouvelle dynamique de consommation de sports de montagne : plus ludiques, plus accessibles, ouvrant alors la pratique à une clientèle de masse.
Actuellement on assisterait à l’apparition d’une troisième génération ancrée dans la culture « trans-moderne » (Corneloup, 2011, p.4) : La génération des « éco-développeurs récréatifs » (Perrin-Malterre, 2014 p.3). Ces prestataires de sports de nature semblent orienter leurs pratiques professionnelles « dans la production d’un art de vivre écologique » (Corneloup, 2011, p.6). Cette tendance est directement liée à la demande touristique qui évolue en parallèle. En effet, on a aujourd’hui une clientèle plus soucieuse des enjeux environnementaux demandant une expérience toujours plus qualitative (Marsac et al., 2012).
Notre travail s’interroge alors sur les actions menées par les professionnels du secteur dans la protection de l’environnement, et de manière plus générale, sur leur implication dans les enjeux du développement durable.
Mais, « Le concept de développement durable (DD) est souvent perçu comme un mot vide de sens, ou encore comme une belle promesse affichée dans les discours de communication » (Marsac et al., 2012, p.144). Il est difficilement mobilisable dans les différentes disciplines scientifiques tant il suppose de notions complexes et pluridisciplinaires à travers le triptyque de ses enjeux : social, économique, écologique. De plus, les travaux de Bon et al. (2012) montrent que les petites entreprises éprouvent des difficultés à s’accommoder avec cette notion complexe du DD et ne cernent pas toujours les avantages à en tirer. Or, le secteur des sports de nature est en majorité animé par des dirigeants à la tête de petites entreprises (PE : moins de 50 personnes), très petites entreprises (TPE : moins de 10 personnes) (Bouhaouala, 2008) et notre terrain d’enquête ne fait pas exception.
Prise en tenaille entre les Causses et les gorges où coulent des rivières aux eaux cristallines, la ville de Millau est implantée dans le sud du département de l’Aveyron. Reconnue à l’échelle nationale comme la « Capitale » des sports de nature, cette petite ville représente une place forte dans ce domaine. Par sa configuration, ses paysages, son socle géologique, sa topographie, le Pays Millavois (Millau et ses alentours) permet aux professionnels du secteur d’offrir un panel d’activités de plein air varié à sa clientèle : spéléologie, parapente, canoë, kayak, escalade, trail, quad, vélo tout terrain…
C’est sur ce territoire historiquement lié aux sports de nature que notre enquête va se dérouler et tentera de répondre à notre double interrogation : dans quelle mesure les prestataires de ce territoire mobilisent-ils le développement durable dans leur métier et quel sens donnent-ils à cette notion ?
Cadre théorique
Pour répondre à cette question de départ, nous avons utilisé la sociologie des logiques d’actions de manière assez similaire aux travaux de Perrin- Malterre (2014). Le concept de « logique d’action » (Amblard H. et al., 2005, p.1) propose l’analyse de l’acteur dans sa situation d’action pour identifier les logiques en œuvre derrière ses agissements. Amblard et al. résument le concept à l’aide de l’équation : « acteur + situation d’action = logique d’action » (Amblard et al., 2005, p.204). Selon les auteurs, l’acteur est constitué de 4 composantes dont sa dimension psychologique que nous choisirons d’écarter tant elle est complexe et dépasse notre champ d’étude de sociologue. Nous allons donc nous focaliser sur les 3 dernières dimensions de l’acteur pour analyser ses logiques d’actions : son comportement stratégique, son positionnement socio-historique, son insertion groupale.
Le comportement stratégique de l’acteur : Il se comprend comme l’application de choix conscients, liés à l’accomplissement de ses objectifs et à sa rationalité. On peut difficilement le percevoir à l’avance, sa stratégie se décèle généralement une fois que l’action a été réalisée, « après coup » (Guyot et Vandewattyne, 2008, p.45).
Le positionnement socio-historique de l’acteur : Celui-ci ne se résout pas à simplement appliquer une stratégie dans ses choix, il est forcément influencé de manière inconsciente par sa culture, sa vision des choses, son attachement au territoire… tant de paramètres qui rentrent en compte pour comprendre sa manière d’agir. Selon Amblard et al. (2005) on se rapproche ici de « l’habitus » de P. Bourdieu (1987), sans pour autant qu’il soit nécessaire d’obtenir la totalité des informations sur la vie de l’acteur et son passé. Ce positionnement socio-historique ressort de manière assez évidente lorsqu’on interroge le parcours de l’acteur (Amblard et al., 2005).
L’insertion groupale de l’acteur : Celui-ci n’apparaît jamais comme un « loup solitaire », il convient de prendre en compte les différents groupes dans lesquels il s’insère et interagit pour tenter d’en comprendre l’influence induite sur ses logiques d’actions (Guyot et Vandewattyne, 2008). Ces groupes peuvent être de types différents, inhérents à une entreprise et intégré dans le champ professionnel de l’acteur, ou bien dans un cadre plus privé : à ses fréquentations, à sa « cellule familiale » (Guyot et Vandewattyne, 2008, p.50).
Dernier élément de l’équation dans lequel notre acteur évolue : la situation d’action. Elle fait référence dans notre travail au milieu professionnel dans lequel évolue l’acteur.
En définitive, le concept de « logique d’action » proposé par Amblard et al. (2005) semble être un outil intéressant pour répondre à notre problématique puisqu’il nous permet de saisir non seulement les différentes pratiques de DD mises en place par les acteurs, mais aussi les motivations qui se cachent derrière leur engagement au DD en analysant les différents processus conscients (dimension stratégique de l’acteur) et les processus inconscients liés au vécu (dimension socio-historique) et aux influences sociales (insertion groupale), le tout délimité par la situation d’action, que nous assimilons dans notre étude au cadre de leurs métiers.
Nous trouvons dans différents travaux en sociologie, (Perrin-Malterre, 2014 ; Labelle et St- Pierre, 2010 ; Paradas, 2007) des éléments de réponses sur l’engagement des structures de sports de nature dans les démarches de développement durable. On parle aujourd’hui de Responsabilité sociale (ou encore sociétale) des entreprises (RSE). « La RSE est le plus souvent définie comme l’ensemble des initiatives volontaires destinées à améliorer conjointement les performances sociales, environnementales et économiques de l’entreprise » (Chanteau, 2009, p.2).
Les travaux de Paradas (2007) montrent par exemple que « la présence très forte du dirigeant » (p.45) est à l’origine de l’engagement, ou non, des TPE dans la RSE. Les travaux de Bouahouala (2008) s’inscrivent dans la même perspective en interrogeant les micros mentalités des dirigeants dressant ainsi une typologie qui met en évidence 4 principales catégories de chefs d’entreprise (cf. Annexe 1). De leur côté, Labelle et St-Pierre (2010) étudient les facteurs organisationnels et institutionnels intervenant dans l’engagement des entreprises au DD. Enfin, notre étude fait référence et s’inspire des travaux réalisés par Perrin-Malterre (2014) qui s’est intéressé aux pratiques de développement durable dans les logiques d’actions des éco-développeurs récréatifs du Vercors.
Méthodologie
À l’aide de la sociologie des logiques d’action (Amblard et al., 2005), notre travail s’attache à comprendre et à décrire les pratiques professionnelles mises en place par les prestataires du Pays Millavois dans la prise en compte du DD. Afin de recueillir nos données, nous avons mené une enquête qualitative par le biais d’entretiens semi-directifs (Blanchet et Gotman, 2005).
Huit entretiens d’environ 45 minutes ont été menées auprès de sept dirigeants de petites entreprises de sport de nature du sud de l’Aveyron et d’une monitrice de parapente indépendante (cf. Annexe 2). Tous les entretiens ont été enregistrés puis retranscrits le plus fidèlement possible, de manière à laisser le moins de place possible à la surinterprétation (de Sardan, 1996) des discours produits.
Même si la recherche d’une population représentative d’un territoire n’est pas la priorité d’une enquête qualitative, nous avons quand même essayé d’intégrer un panel de critères intéressants de ce point de vue. En effet, les sports de nature se définissent comme « l’ensemble des activités aériennes, nautiques, terrestres ou souterraines, encadrées ou non, se déroulant en milieu naturel » (Desvigne et Thomine, 2004, p.14), et tous nos enquêtés proposaient respectivement au moins une de ces activités.
Dubois et Terral (2011) parlent d’une féminisation en cours dans les sports de nature, de plus, selon Labelle et Saint-Pierre (2010) les femmes accorderaient plus d’importance aux enjeux du développement durable que leurs homologues masculins dans les entreprises. Nous avons donc intégré une dirigeante et une monitrice de parapente indépendante à notre population afin de recueillir leur point de vue même si nos hypothèses ne s’intéressent pas aux enjeux genrés en matière d’engagement au développement durable. Toujours selon Labelle et Saint-Pierre (2010), le développement durable est une notion récente qui suggère une plus grande sensibilité des jeunes entreprises et donc des jeunes dirigeants. Notre échantillon compte au moins une entreprise récemment créée (moins de 5 ans) et dirigée par un gérant de moins de 30 ans. Enfin, Mounet et al. (2000) différencient « les loisirs sportifs non motorisés, d’une part et, d’autre part, ceux qui utilisent un engin à moteur ou opèrent un prélèvement dans le milieu naturel » (p.2). Les prestataires de sports de nature utilisant des engins motorisés font pleinement partie du territoire Millavois, dans cette perspective nous nous sommes entretenus avec un dirigeant proposant une activité motorisée.
Nos entretiens ont été réalisés à l’aide d’une grille construite autour de 3 thèmes reprenant les 3 composantes de l’acteur dans la sociologie des logiques d’actions proposée par Amblard et al. (2005) : Nous avons tout d’abord interrogé le parcours de l’acteur (son arrivée sur le territoire, son parcours sportif, son parcours professionnel) pour identifier son positionnement socio- historique. Nous avons ensuite enquêté sur le comportement stratégique de l’acteur à l’aide de questions ouvertes sur le déroulement de son activité professionnelle et sur ses connaissances en matière de développement durable. Enfin, nous avons conclu nos entretiens en interrogeant nos acteurs sur leur insertion groupale (rôle de la famille dans l’entreprise, réseaux associatifs intégrés, aides de personnes extérieures…). Une fois nos données collectées, nous avons procédé à une analyse thématique pour construire nos résultats de manière méthodique.
Si la dimension socio-historique et l’insertion groupale des acteurs ont pu être analysées grâce à une grille d’analyse propre à notre enquête, nous avons procédé différemment pour l’analyse de sa dimension stratégique. Pour ce faire, nous avons donc utilisé la grille de l’action professionnelle proposée par Vachée et al. (2004) comme l’avait fait Perrin-Malterre dans ses travaux de 2014.
Cette grille met en avant « 4 pôles structurels » (p.163) qui décrivent les pratiques des prestataires dans les métiers des sports de nature que nous allons résumer ci-dessous :
- « La logique pratique » (p.164) : englobe les différents comportements adoptés par le prestataire dans son relationnel avec les clients lors de l’encadrement (Vachée et al., 2004).
- « La logique sportive » (p.164) : identifie les modes de pratique, le type d’activité, l’utilité donnée au milieu naturel, le choix du terrain.
- « La logique organisationnelle » (p.165) : regroupe tous les comportements en lien avec la gestion de l’activité du prestataire, management, marketing, ressources humaines…
- « La logique sociale » (p.165) : rends compte des liens entre vie privée/sociale et vie professionnelle.
Nous mettons chacun de ces pôles en relation avec le développement durable pour identifier les différentes pratiques mises en place par les acteurs. Réadaptée, cette grille de l’action professionnelle a servi de fil rouge pour analyser la dimension stratégique de l’acteur.
La présentation de nos résultats va suivre le déroulé de notre enquête en reprenant chacun des 3 thèmes interrogés lors de nos entretiens avant de nous attarder sur un élément marquant soulevé par notre enquête : la méconnaissance du développement durable.
Résultats
Dimension socio-historique des acteurs : vocation sportive et ancrage au territoire
L’analyse du parcours des prestataires a révélé plusieurs divergences, mais aussi des similitudes marquantes. Dans un premier temps, à travers leurs liens avec le territoire Aveyronnais. En effet, 5 y sont nés ou y ont grandi, les 3 autres s’y sont installés pour le cadre de vie et pour pouvoir pratiquer leur passion à titre de loisir avant de développer leur activité à proximité de Millau. Malgré cette hétérogénéité, tous y sont aujourd’hui attachés :
« C’est ce qui m’a amené dans la région, j’ai été séduit par le coin il avait le côté grands espaces, on respire dans l’Aveyron ! C’est pas… c’est pas des concentrations… je veux dire, les grosses villes, et puis il y a un terrain de jeu super pour l’escalade, en tout cas un terrain de jeu fantastique de notoriété nationale et internationale d’une et puis un potentiel énorme encore quoi ! »
De manière similaire aux prestataires du Vercors étudiés par Perrin-Malterre (2014), il semble que chez nos 8 prestataires Aveyronnais « le territoire est conçu comme un lieu de vie d’une qualité supérieure. Il est en même temps un espace de pratique sportive et un espace de fusion avec la nature » (Perrin-Malterre, 2014, cite Bouahouala, 2001, p. 236).
Les parcours professionnels aussi différents : certains d’entre eux affirment leur vocation dans les sports de nature depuis toujours tandis que d’autres sont en reconversion professionnelle et trouvent dans leur nouveau métier un moyen de « vivre à nouveau » :
« J’ai passé 15 années en industrie, ou là je progressais assez rapidement et je me suis retrouvée responsable de production …. Euh et puis comme j’ai pris le boulot un petit peu comme un challenge, un peu comme en sport j’ai pris plein de choses à faire, tellement bien que j’ai fait un burn-out, et là du coup, je suis revenue à mes premiers amours. »
Les prestataires interrogés ont donc converti leur passion initiale en choisissant de se professionnaliser dans l’encadrement des sports de natures. Chacun d’entre eux a passé au moins un diplôme d’état dans la, ou les disciplines de son choix. Cette « Posture Vocationnelle » (Perrin- Malterre, 2014, p.5) avait déjà été repérée chez les éco-développeurs récréatifs du Vercors dans l’encadrement de sports de nature en montagne. En outre, les discours de nos enquêtés se rejoignent sur la passion pour leurs métiers. L’objectif premier n’étant, pour la plupart, pas d’ordre économique, mais bien d’épanouissement personnel dans une logique hédoniste : « Donc, oui c’est beaucoup de travail beaucoup de temps, mais c’est des métiers passion où tu ne deviens jamais riche de toute façon. L’idée c’est de la rendre pérenne et de kiffer quoi ! ». Cette logique se retrouve chez les « indépendants passionnés » dans la typologie des dirigeants de petites entreprises proposée par Bouahouala (2008).
Synthèse de la typologie multicritère de la petite entreprise et de l’entrepreneur (Bouhaouala, 2008).
Seul un prestataire, installé depuis longtemps dans les sports de nature, a fortement diminué son temps d’encadrement pour se concentrer sur un travail de gestion dans sa structure afin de préserver sa passion :
« Bon, je suis sur un côté plus gestionnaire, mais bon, ce qui ne m’empêche pas d’être également sur le terrain […] pédagogiquement j’étais arrivé, je dirais au bout de ce que je voulais donner et voilà. J’avais pas envie de me dégouter des activités que j’aime, parce que je pense que de travailler trop dans ces activités ça peut dégouter. »
Dimension Stratégique de l’acteur : des activités éducatives ouvertes à tous pour une activité pérenne.
En reprenant la méthodologie utilisée par Perrin Malterre (2014), nous avons pu mettre en évidence certaines pratiques mises en œuvre par nos prestataires dans une démarche de développement durable.
L’utilisation de la grille d’analyse de l’action professionnelle proposée par Vachée et al. (2004) dans notre analyse nous a permis d’obtenir des résultats très similaires à ceux des travaux de Perrin Malterre (2014) malgré les différences entre nos enquêtés. En effet, dans notre démarche, notre échantillon ne se voulait pas exclusivement composé d’« éco-développeurs récréatifs » (Perrin Malterre 2014, p.11) à la différence de l’échantillon utilisé par Perrin Malterre (2014) qui sélectionnait uniquement ces prestataires porteurs de la culture trans-moderne, déjà engagés dans des démarches de développement durable ce qui nous permettait de faire un état des lieux plus général dans le sud de l’Aveyron.
Ainsi, l’analyse de la logique pratique chez nos prestataires démontre leur volonté d’éduquer leur public à l’environnement. L’intégralité des prestataires parle de relation de sensibilisation envers le public notamment par des discours verbaux lors de l’encadrement et des moments de briefings. Ce discours peut prendre plusieurs formes, il passe par la transmission de règles dans les pratiques sportives, mais peut aussi être démonstratif : « Voilà, si je ramasse un papier, bon, ils sont derrière moi, peut-être qu’ils y penseront la prochaine fois… ». Cette volonté d’éducation chez nos prestataires semble cependant moins profonde que celle développée par les éco-développeurs récréatifs du Vercors dont certains proposent des prestations établies sur la durée, sous forme de stage, dans l’intérêt de développer des relations humainement plus riches et donc plus susceptibles d’engendrer une modification des comportements (Perrin-Materre, 2014).
L’analyse de la logique sportive montre que les offres mises en place par les acteurs s’inscrivent dans une logique de plaisir et de découverte de l’environnement, en mettant de côté l’aspect purement physique de l’activité. Dans ses travaux, Perrin-Malterre (2014) parle de « pratiques douces axées sur la découverte de l’environnement proche » (p.6). Ainsi, chacun d’eux propose un moyen accessible pour découvrir la nature, pour pallier à ce déclin du gout de l’effort qui était l’essence même de la culture moderne. On parle par exemple de l’utilisation du VTT à assistance électrique, de mise en place de voies faciles pour les quads, d’aménagements de Via ferrata accessibles aux enfants, mais aussi au public vivant avec des incapacités : « […] les gens sont de moins en moins dans une dimension sportive… donc ça va être à grand renfort de logistique pour les amener dans la nature… ». Ainsi, par leur volonté d’élargir leur offre à un public moins sportif, nos prestataires agissent directement en adéquation avec le pilier social du développement durable dans sa problématique d’inclusion de tous les publics.
L’analyse de la logique organisationnelle montre des acteurs volontaires dans l’idée de détacher leur offre du tourisme de masse pour arriver à des produits à caractère exceptionnel, artisanaux, réduisant leur empreinte sur le milieu. En revanche, le matériel technique utilisé par certains de nos prestataires dans leurs activités semble à première vue assez contradictoire avec cette logique : Par exemple, les VTT électriques utilisés sont des produits très techniques issus du monde industriel et leur utilisation permet l’ouverture de lieux préservés, jusqu’à présent réservés aux puristes, au grand public et donc potentiellement au tourisme de masse. Mais il ne s’agit pas de « faire de l’abatage », nous indique un de nos prestataires qui propose des excursions en quad, en précisant qu’il ne souhaite pas vendre plus de prestations malgré une forte demande, au risque d’amoindrir l’authenticité de ses « produits ». Dans cette même logique, 7 de nos prestataires affirment leur volonté de pérenniser leur activité en développant leur activité de manière raisonnée, à échelle humaine, en développant des liens de concurrence saine avec les autres structures :
« [Prestataire 1] Le milieu ici, même si on est concurrent, beh la majorité sont des amis, voilà, c’est motivant, je dirai c’est une concurrence relativement saine. »
« [Prestataire 2] Ouais, bonne entente entre collègues, on se fait bosser les uns les autres. Dans les alpes…les mecs ils se tirent dessus limite pour avoir leur départ à leur heure… à Millau, on monte au départ dans la même voiture quoi. On arrive on vole ensemble ! »
Cette volonté de garder des petites entreprises à échelle humaine et cette convivialité entre concurrents peut être envisagée dans une certaine mesure comme une protection contre le tourisme de masse. En effet, on peut imaginer qu’un nouveau prestataire voulant créer une activité professionnelle dans une logique de développement décalée de la dynamique locale sera rejeté par ses « congénères » et devra finalement s’adapter.
L’analyse de la logique sociale quant à elle fait ressortir l’investissement de tous les acteurs dans le milieu local par leur volonté d’intégrer leur activité au pays Millavois afin qu’elle soit bénéfique à chacun :
« On a monté un projet qui s’appelle « un village, un défi : une semaine sans ma voiture » à Saint Beauzély, et du coup si tu veux, le parc prête des vélos et si jamais il y a besoin d’autres vélos, moi je prête des vélos derrière pour que ça se passe bien. »
Cette dynamique inclut aussi la co-construction des projets touristiques de nos prestataires en harmonie avec le Parc Naturel Régional des Grands Causses (PNR) et l’Office National des Forêts (ONF) qui sont perçus comme des régisseurs bénéfiques par une majorité de nos enquêtés.
Dans la même perspective, un des prestataires que nous avons interrogés, intègre son activité pro au DD en créant des emplois sur le territoire par le développement de sa structure implantée depuis plus de 20 ans.
« La grosse part où je suis développement durable où je suis fier c’est aussi, également de faire travailler des gens voilà sur… voilà il faut le dire hein… on est quand même une zone, l’Aveyron, plutôt sinistré en termes d’emplois et voilà, moi je suis… même si certains sont saisonniers, moi je suis fier de faire travailler une vingtaine de personnes. Voilà, c’est mon côté développement durable. »
D’après les précédents constats et en superposant les récits recueillis avec la typologie des entrepreneurs proposée par Bouhaouala (2008), nous pouvons interpréter que 7 de nos enquêtés sont des « indépendants passionnés » (cf. Annexe 1) bien que deux d’entre eux intègrent aussi des indicateurs propres à « l’entrepreneur indépendant ». Leur mise en place de stratégies de différenciation de leurs produits sportifs en est un bon exemple :
« Tous les collègues qu’il y a autour, ils ont plus des semi- rigides, moi j’ai que des tout suspendus et l’idée c’est d’avoir des gros vélos, ici on est dans le monde de l’enduro quoi. »
Seul un des prestataires, lui aussi passionné par les sports de nature, a pu être identifié comme « Manager Gestionnaire ». Celui-ci développe son entreprise depuis de longues années et est directement issu de la culture post moderne. À la différence de nos indépendants passionnés, son discours avait une mesure très terre à terre.
« On est tout, sauf développement durable ! Moi je suis euh, je dirais logisticien. Le canoë c’est des navettes, toutes activités c’est des navettes, le parapente c’est de navettes, aller dans un canyon c’est des navettes, c’est du transport. On est tous transporteurs quelque part. On utilise tous du matériel, moi j’adore le matos, je suis superbement équipé, on utilise tous du matériel… le canoë c’est du plastique que ça n’en peut plus d’être plastique. »
Mais même si « les logiques sous-jacentes au secteur touristique et les exigences du DD apparaissent, à bien des égards, antinomiques » (Parra, 2010, p.1), la relation entre tourisme et développement durable reste complexe et discutable.
L’insertion groupale de l’acteur : une communauté de prestataires Millavois
Comme nous avons commencé à le remarquer dans la logique sociale, les prestataires ont une volonté d’inclure leur activité à la dynamique du territoire et, de ce fait, s’insèrent dans de nombreux réseaux. Il s’agit majoritairement de réseaux associatifs et de réseaux professionnels :
« J’aime les gens avec qui je travaille, le fait d’avoir adhéré à un groupement comme [nom], aussi c’est extrêmement motivant. »
Notre analyse met aussi en évidence un fort sentiment d’appartenance à une communauté de professionnels des sports de nature qui brouillent les frontières entre relations amicales / et relations professionnelles : « Donc après en général ça se fait assez naturellement, c’est assez mélangé quoi, tous mes collègues de boulots sont entre guillemets des gens qui pourraient venir manger à la maison. »
Ce sentiment d’appartenance semble générer chez les prestataires qui en parlent, des valeurs, des pratiques, des passions, des idées communes liées à leur culture sportive de nature principalement orientée vers un mode de vie « écolo ». Leur volonté de s’exclure des pratiques de surconsommation dans leurs discours pour tendre vers un mode de vie plus simple en est un exemple marquant.
Il semble que ces idées, ainsi véhiculées de prestataire en prestataire, se ressentent dans leur pratique professionnelle. Corneloup et al., dans leurs travaux de 2014, développent le concept d’ « habitabilité récréative » dans lequel l’ « enculturation sportive renforce un sentiment d’appartenance au territoire, et ce d’autant plus lorsqu’elle se double d’une connaissance de l’histoire et de l’actualité sportive du plateau permettant de se sentir faire partie des initiés. Par la pratique au sein de cette communauté sportive, les habitants quittent leur statut d’étranger et deviennent membres d’un collectif élargi où l’on est toujours plus ou moins l’ami de l’ami et celui que l’on a déjà vu ici ou là. » (p.53).
Plusieurs de nos acteurs s’intègrent aussi parmi les différentes institutions présentes sur le territoire, PNR, UNESCO, Natura 2000. Sur le pays Millavois, la cohabitation entre les prestataires et ces institutions semble pérenne et importante aux yeux de nos enquêtés : « quand tu es porteur de projet, c’est les gens typiquement à rencontrer quoi. » Cette relation, bien qu’imposée d’un point de vue législatif, est à l’origine de la standardisation de certaines pratiques liées notamment à la protection de l’environnement.
Comme nous l’avons vu précédemment, les acteurs s’insèrent aussi à titre personnel dans des clubs sportifs, des associations et participent de manière bénévole à la vie locale : « Donc chaque année j’y vais pour les aider, pour faire le jury, pour délibérer, pour faire un petit peu tout ce qui est… J’y vais bénévolement bien sûr ! »
L’entretien de ces liens dans le milieu associatif facilite à quelques prestataires, l’ouverture de leurs prestations à ces réseaux. Ce qui peut leur permettre à terme d’arriver plus rapidement à la pérennisation de leur activité.
« Voilà alors le but d’avoir investi là-dedans c’est pour avoir, des gros clubs de plongées qui viennent et qui permettent un peu de faire des débuts de saisons pas trop mal quoi. Activités professionnelles aux assos/clubs. »
La majorité des prestataires interrogés ont aussi des enfants et une vie familiale qui apparait comme un facteur crucial dans leur insertion sur le territoire, mais aussi dans la pérennisation de leur entreprise :
« On a fait notre maison tout seul, ici avec l’aide de la famille c’était possible, on n’aurait pas pu le faire ailleurs […], Ce local je ne l’aurais jamais fait si je n’avais pas eu de la famille qui m’avait aidé… »
Le facteur familial peut alors être interprété comme une ressource économique importante dans le développement de structures touristiques pérennes, mais aussi comme un facteur de motivation à la préservation de l’environnement :
« On aura plus grand-chose à laisser pour les autres quoi. Dans le milieu sous-terrain notamment : c’est des milieux… qui sont très fragiles et qui… nous appartiennent pas quoi, alors essayer de les laisser dans l’état pour les générations futures pour qu’ils voient un peu ce que nous on arrive à voir quoi »
La démocratisation du développement durable
Le manque de connaissance à propos du développement durable représente le résultat le plus marquant dans notre étude. Marsac et al. (2012) mettent en évidence que « Le concept de développement durable est souvent perçu comme un mot vide de sens, ou encore comme une belle promesse affichée dans les discours de communication » (p.144). Et cela s’est vérifié, aucun prestataire n’a mentionné de définitions connues, ni même le triptyque social/environnemental/économique et encore moins la notion de RSE. La question « Qu’est-ce que ça t’évoque pour toi ? Développement durable ? » est restée sans réponses concrètes à plusieurs reprises, le terme n’a pas de définition précise pour la grande majorité des prestataires :
« C’est un vaste sujet. C’est un sujet assez démentiel » ; « développement durable, ça me parait un peu un thème… plus de… politique, politicien, je ne sais pas trop ».
Le concept semble aussi plus directement rattachable à la vie personnelle qu’à l’activité professionnelle dans le discours de plusieurs de nos enquêtés : « Développement durable ??… Je pense que c’est déjà consommer local… local et puis en agriculture propre on va dire… Pas forcément bio, mais plus raisonnée ».
Néanmoins, pour tous les prestataires, le terme a un rapport avec la protection de l’environnement et 5 des prestataires ont mentionné une notion de durabilité dans le temps pour leur entreprise.
Ce n’est qu’en rassemblant les discours de nos 8 prestataires, que l’on retrouve la plupart des aspects institutionnalisés du DD. Ce manque de connaissance révèle la nécessité de renforcer l’accompagnement de ces petites structures dans leurs projets professionnels afin de les aider à bien cerner les enjeux sociaux et économiques qui semblent éclipsés par le pilier environnemental dans le développement de leur activité.
Conclusion
Les similitudes troublantes entre les prestataires Aveyronnais et ceux du Vercors étudiés dans les travaux de Perrin-Malterre (2014) confortent l’idée d’une transition des cultures professionnelles des sports de nature vers la trans- modernité. Le pays Millavois n’y échappe pas. Bien qu’une poignée de grosses structures, établies depuis un bon nombre d’années, semblent encore profondément ancrées dans la culture post- moderne, de plus en plus de néo-ruraux créent leur activité dans le but de vivre de leur passion et de chercher une alternative à la vie professionnelle proposée par le monde industriel. La méconnaissance du développement durable, quant à elle, pourrait être réduite par des initiatives de formation mises en place par les politiques publiques du secteur. Dans son article, Van Der Yeught (2015) parle de 4 compétences clés pour un « management du développement durable » (p.91). L’injection de ces compétences clés aux nombreux réseaux dans lesquels s’insèrent les prestataires, leur permettrait d’acquérir de nouvelles compétences en matière de développement durable.
En définitive l’utilisation de la nature, au prix de dégradations inévitables liées à nos pratiques de loisir, reste indéniablement aux antipodes de ce que peut être le Développement Durable. En revanche, les sports de natures semblent être un outil, un support intéressant pour la mise en marche d’une prise de conscience collective en utilisant « la force pédagogique des loisirs sportifs de nature dans la protection de l’environnement » (Bouhaouala et Bouchet, 2007, p. 153). Ainsi, avec l’intérêt croissant que suscitent ces activités, l’éducation et la sensibilisation à l’environnement tendent à devenir incontournables dans les expériences touristiques proposées par les prestataires de la culture trans-moderne.
Bibliographie
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