La biodiversité aquatique et le comportement : l’influence de la biodiversité aquatique sur le comportement des kayakistes de mer
Les comportements des individus sont soumis à des facteurs d’influence sociologique.
C’est à partir de concepts tels l’habitus de Bourdieu, l’approche socioculturelle des activités physiques par Pocciello, l’attention aux non-humains et l’habitus écologique que nous déterminons en quelle mesure les kayakistes sont influencés par la biodiversité aquatique. Quels sont les comportements induits par celle-ci et quels sont les critères d’un habitus écologique ? Ces questions sont au cœur de notre travail et nous avons tachés d’y répondre au moyen de quatre entretiens menés avec des kayakistes. A travers les deux critères que sont l’« environmentally friendly lifestyle » et le goût prononcé pour les métiers manuels, les biens tangibles, les résultats mettent en avant une différenciation des comportements adoptés par les adhérents en fonction de leur proximité avec ces critères.
Lier l’habitus au comportement socio- écologique
Les grands décideurs internationaux se sont réunis pendant deux semaines en novembre 2022, lors de la COP 27, à Charm el-Cheikh en Egypte. Ce moment d’échanges et de prise de décisions concernant l’ensemble de l’humanité, ou presque, est bien synonyme d’une volonté des dirigeants de ce monde, d’aller en avant. Cependant, il ne faut pas mettre de côté les gestes individuels, effectués quotidiennement par chacun. Dans ce travail, il est question d’appréhender les comportements des kayakistes vis-à- vis de la biodiversité.
Le kayak, ses pratiquants, ses impacts
Les sports de nature n’ont jamais cessé de rencontrer la faveur des Français. En effet, l’obtention des congés payés en 1936 et le passage aux 35 heures en 2000 ont octroyé aux Français plus de temps libre, qui est facteur du « développement du tourisme et des loisirs réguliers de proximité » (Vollet et Vial, 2018). Elles sont encouragées depuis 1945, par les Instructions ministérielles pour le sport de plein air : « Stimulés par le grand air et le milieu naturel, les élèves sont disposés à l’effort ». Dubuisson décrit les APPN (2009, p.1) comme « caractérisées par la conception et la réalisation d’un déplacement dans un milieu naturel ou le reproduisant ». Le kayak est une embarcation qui permet la traversée de milieux aquatiques riches en biodiversité dont certains font partie de zones protégées et préservées qui abritent des habitats et espèces représentatives de la biodiversité européenne. C’est parce que l’activité en elle-même et les embarcations sont respectueuses de ces milieux que les kayakistes sont les seuls à pouvoir approcher ces environnements.
Les scientifiques tentent difficilement de quantifier les impacts du kayak sur la biodiversité aquatique. Mounet (2007) montre les lacunes des recherches dans une analyse bibliographique de 300 documents. Il indique que les scientifiques ont tendance à ne traiter que des espèces emblématiques en oubliant « la dynamique des populations », « l’aspect écosystémique » (p.5), et les transports afin d’accéder au site de pratique. Enfin, selon Bouthillier (2013), le kayak est « sans nul doute l’une des seules activités ayant un impact minime sur l’environnement ». En revanche, les perturbations de l’environnement qu’il relève sont causées par le comportement du kayakiste.
C’est là qu’une approche socio-culturelle peut se révéler pertinente pour comprendre les comportements. Pociello (1981) conceptualise une approche socioculturelle des pratiques et montre que les activités sportives correspondent à certaines classes sociales. Un mixage social apparaît dans certains sports faisant apparaître différentes conditions de pratique du même sport.
Au contact des non-humains dans les sports de nature
La faune et la flore sont ce que Rech et Paget appellent des « non-humains » (Rech & Paget, 2017), une notion sociologique développée par Latour. Celui-ci affirme que lors de la pratique d’un sport de nature, le déplacement sera hybride, fait d’interactions entre humains, objets et non-humains : nous devons accepter le fait que la continuité propre au déroulement d’une action sera rarement faite de connexions d’humain à humain […] ou d’objet à objet, mais se déplacera probablement en zigzaguant des humains aux non- humains » (Latour, 2006, 108).
Rech et Paget ajoutent que « les objets transforment le cours d’une action et participent à de nouvelles associations avec les humains » (2017, 8).
La relation que chacun entretient avec les non-humains présents lors de la pratique d’une activité physique de pleine nature prend alors toute son importance dans la protection de l’environnement de pratique.
La présence des non-humains dans l’environnement de pratique est aussi d’une importance capitale dans l’émergence d’un « enchantement du monde » (Passavant, 2004). Comme Perrin-Malterre (2007) le décrit, il existe un état d’enchantement caractérisé par un émerveillement devant les beautés du monde, un sentiment d’exaltation et de quiétude intérieur suivi d’élan d’affection. Cela est favorisé par un effort physique répété, un repli en petit groupe et la vie en autarcie dans des régions isolées, toujours selon l’auteure. C’est un phénomène qui peut apparaître lors de la pratique du kayak. En effet, c’est une activité sportive, synonyme d’efforts répétés, le temps d’une session, ou régulièrement au cours de l’année, qui peut être réalisée seul ou en petit groupe et dans des lieux isolés, accessibles uniquement en kayak, créant l’impression d’être seul au monde, seul en autarcie.
De l’habitus à l’habitus écologique
Pour que cette sensibilisation prenne effet, il est important que cette cause, la préservation de la biodiversité aquatique soit une préoccupation majeure, qu’elle soit présente dans les esprits. Or, il apparaît que les « présupposés idéologiques jouent un rôle important » (Myttenaere & d’Ieteren, 2009). La perception est inhérente à chaque individu, elle lui est propre et est influencée par de multiples facteurs. Elle
varie en fonction de son groupe de référence, celui auquel on s’identifie, en fonction de sa famille, de sa culture, ses valeurs partagées et de sa classe sociale. Bourdieu (1987) explique que l’habitus est un phénomène circulaire qui produit et reproduit les conditions sociales nécessaires à sa reproduction. En effet, un certain habitus va avoir tendance à entraîner un certain habitus. Bourdieu (1980) le définit comme un ensemble de « structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes » (p.88). Ainsi, l’habitus qui se crée par notre expérience et ce qui nous entoure, qui se forme lors d’étapes de sociabilisassions est ce qui nous rend unique en tant qu’humain, qu’être social. Ce phénomène déclenche des tendances à certaines conduites qui se verront être le socle d’autres conduites favorables à la reproduction de cet habitus. En effet, l’habitus n’est pas seulement la conséquence d’une éducation, d’une socialisation et d’une culture, il est aussi la cause de leur réplication, non pas identique mais proche. Wagner (2012) définit simplement la notion d’habitus de Bourdieu comme « un ensemble de dispositions durables, acquises qui consiste en catégories d’appréciation et de jugement et engendre des pratiques sociales ajustées aux positions sociales ».
Quelques auteurs anglophones utilisent la notion bourdieusienne d’habitus et lient la combinaison faible capital économique – haut capital culturel à des « environmentally friendly lifestyles » (Carfagna et al., 2014 ; Holt, 1998 ; Horton, 2003). Pelikán et al. (2020, p.423) ajoutent que l’habitus de cette catégorie d’individus devient plus écologique et que leurs goûts se concentrent sur des biens plus tangibles, sensibles, locaux et sur le travail manuel : « The reconfiguration of high-status tastes concerns three dimensions : a new interest in materialism and the physicality of goods, a preference for the local and reverence for manual labour. » (2020, p.423).
Debbie Kasper ne se contente pas de la notion de capital culturel, elle tente d’aller plus loin et développe la notion « ecological habitus » (2009, p.312), en dérivation de la vision de l’habitus bourdieusien. Kasper indique ce à quoi l’habitus écologique réfère : « to the embodiment of a durable yet changeable system of ecologically relevant dispositions, practices, perceptions, and material conditions—perceptible as a lifestyle—that is shaped by and helps shape socioecological contexts » (ibid., p.318) ou l’incarnation d’un système durable mais aussi évolutif de dispositions, pratiques, perceptions et conditions matérielles […] façonnées par et qui façonnent des contextes socio-écologiques. L’auteure estime que le concept d’habitus écologique est un moyen de « repenser » le comportement environnemental mais qu’il est important d’en créer un outil empirique afin d’étudier, comparer et transmettre des données sur les
relations socioécologiques. « Socioécologique » étant un mot utilisé par Kasper (2009), référant à des problèmes et phénomènes souvent nommés « environnementaux », pour transmettre implicitement l’idée de relations entre « human social life » et les contextes écologiques dans lesquels cela prend place (2009, p.324). Le but de Kasper est donc d’intégrer le comportement écologique dans le concept d’habitus. Ces recherches nous montrent donc que la notion de biodiversité n’est pas identique pour tout le monde. Elle est propre à chacun et dépend de notre perception. Cette dernière étant dépendante de notre propre expérience, de notre socialisation, et de paramètres divers tels que l’éducation, l’environnement culturel, le groupe d’appartenance auquel on s’identifie, elle évolue constamment. Bouthillier (2013) nous montre que malgré les reproches faits au tourisme sur la dégradation des écosystèmes, le pratiquant de kayak n’a qu’un infime impact sur la biodiversité aquatique et ajoute que les impacts du kayakiste sont inhérents à son comportement et non à l’exercice en lui-même. Il suffit donc, conclue-t-elle, de le sensibiliser et de lui apprendre les bonnes pratiques. Ford s’appuie sur les travaux de Kasper pour déclarer que les pratiques sociales ne sont pas « simplement une question de choix individuels, mais le reflet de conditions sociales qui prennent place au sein de systèmes de pouvoir »10 (2009, p.1). Notre rapport à la nature est donc influencé par nos marqueurs sociologiques, mais ceux-ci peuvent être modifiés par notre expérience de la nature.
En effet, le contact à la nature est l’élément central de la prise conscience de cette dernière en tant que tout. L’idée de Léopold, écologue américain des années 1940, selon laquelle les loisirs de plein air permettent une rencontre avec la nature, invite à la considérer comme un être vivant à part entière. Cette conscientisation ou “critical consciousness” est un processus d’apprentissage et de découverte de la réalité afin de se libérer de l’oppression des structures sociales, de son habitus (Alexander et al., 2022 : 3).
Dans ce contexte, nous sommes amenés à nous demander dans quelle mesure les comportements socio-écologiques traduisent un habitus écologique chez les kayakistes. Nous formulons l’hypothèse que les kayakistes ayant un fort capital culturel développent un comportement socio-écologique davantage prégnant que les individus qui ont un capital culturel moins marqué.
Méthodologie
Adossée à une perspective socio-écologique des comportements, l’enquête, réalisée en 2022 dans le cadre d’un mémoire de recherche (Vautier, 2021), a été construite sur une démarche qualitative auprès de quatre adhérents du Palavas Kayak de Mer. Ce type de données nous permettra de développer certains sujets tels que le lieu de l’enfance et parcours professionnel afin d’en savoir un peu plus sur les différents processus de socialisation des sujets. Nous tentons de comprendre les conditions, les causes et les conséquences de la pratique du kayakiste du PKM. Avec cette méthode, nous avons recueilli les opinions, les expériences des adhérents, leurs motivations et abordé leur préoccupation sur le sujet de la biodiversité aquatique.
Notre terrain d’étude est un point fixe, celui du club Palavas Kayak de Mer mais cela est compensé par un échantillon varié. Les quatre adhérents que nous allons interroger ont des pratiques différentes. Ce qui forme la richesse de notre enquête est la pluralité des profils interrogés et les différentes modalités de pratique. De plus, ces adhérents ont des statuts différents au club,
certains sont adhérents depuis moins de 5 ans, d’autres depuis plus de 15 ans. Certains sont de simples adhérents, d’autres occupent ou ont une fonction importante au sein de celui-ci. Cela permet de balayer plus largement les comportements en fonction de l’implication dans la pratique du kayak de mer. L’hétérogénéité de profils que nous avons interrogés est ce qui a permis d’étudier un spectre large de comportements qu’il est intéressant d’étudier et d’analyser.
Grâce à notre situation privilégiée d’apprenti au sein du Palavas Kayak de Mer, la méthode des entretiens individuels, en présentiel au sein du club, a été un choix logique. Nous avons choisi de mener des entretiens semi-directifs car malgré un cadre d’interview fixe, la possibilité d’explorer certains thèmes ou de donner des informations complètes et selon ses verbatims personnels, reste présente. Nous avons abordé les périodes de l’enfance, puis du parcours professionnel et sportif. Nous avons demandé les causes et conditions de pratique et la considération apportée à la nature. Les entretiens ont duré entre 20 et 40 minutes chacun et se sont déroulé au Palavas Kayak de Mer, ou en visio- entretien (Cathy).
Précisons que le Palavas Kayak de Mer est un club dont le prix de la licence est abordable et ouvert à tous. Nous n’avons pas interrogé d’enfant ou jeune adulte, mais l’échantillon représente fidèlement le club. Nous avons analysé les différents discours des interrogés, recueilli par un dictaphone et retranscrits selon la méthode Ubiqus IO.
Résultats
Ici, nous présentons d’abord les résultats de nos entretiens avec Cathy, Geneviève, Jean-Christian ou Gérard puis les analysons selon le spectre de l’habitus écologique et différentes adaptations de comportement (contempler, réparer, éviter). Nous commençons par étudier nos sujets sous le prisme de leur « environmentally friendly lifestyle » » (Carfagna et al., 2014 ; Holt, 1998 ; Horton, 2003) puis de leur goût pour les métiers manuels. Nous étudions ensuite les différents comportements des kayakistes et les confrontons avec les symptômes d’un habitus écologique marqué.
Dans un premier temps, nous ferons remarquer que l’enquête n’ayant interrogé que quelques adhérents de ce club qui en compte plus de 300 ne suffit pas affirmer une tendance générale. Il est nécessaire de s’interroger sur les comportements d’autres pratiquants du club qui, bien que pratiquant une activité similaire à première vue, ont une activité différente. En effet, la motivation de la pratique, l’embarcation, l’âge ou encore le niveau de compétences n’ont pas été étudiés dans leur transversalité lors de cette enquête. Cela nous questionne sur les différents comportements adoptés par les individus qui pratiquent le kayak mais qui ont un habitus écologique moins développé. Cela pourrait être augmenté d’une enquête quantitative à plus grande échelle lors d’un travail de recherche plus complet. Cependant, dans une étude visant à mettre en évidence l’hypothèse d’une biophilie en quantifiant la connexion entre humains et nature Cheng et al. (2020) reconnaissent une difficulté particulière ; étudier à une large échelle comment les individus interagissent avec la nature sous différents contextes.
Nos quatre adhérents ont plus de 40 ans. Nous avons deux hommes, un actif et un retraité, et deux femmes avec la même répartition. Cathy et Geneviève sont et étaient enseignantes, Cathy a passé le concours interne après avoir eu ses enfants, pour un besoin de stabilité. Gérard a été technicien et est monté en grade sur la fin de sa carrière et Jean-Christian n’a pas utilisé son BTS, a enchainé les petits boulots, puis est devenu tatoueur pendant 10 ans avant d’être moniteur au club de kayak. Tous pratiquent le kayak de mer en tant que loisir, seul Jean-Christian part sur des randonnées de parfois plusieurs semaines. Il est aussi responsable de la partie kayak de mer au club et assure à ce titre des cours deux fois par semaine et organise des séjours et randonnées. Tous les quatre sont arrivés au club par l’envie de naviguer en mer. Leurs conditions de pratique restent différentes, certains aiment pratiquer exclusivement en groupe (Cathy et Gérard), d’autres apprécient plutôt les balades en solitaires (Geneviève). Jean-Christian, dont le niveau est bien supérieur, pratique aussi le surf en kayak, les randos bivouac et la descente de rivières. Tous parlent de liberté quand ils décrivent leur pratique, qu’elle soit géographique pour Gérard, ou ressentie pour les autres. Aucun, à part Gérard, ne mentionne l’intérêt de l’exercice physique, comme pour mettre en exergue, par omission, que l’essence de leur pratique réside dans les conditions environnantes. Avec des définitions différentes et parfois incomplètes de la biodiversité, nos sujets semblent s’accorder sur quelques comportements différents. Cathy mentionne deux verbes qui sont « voir » et « regarder » et deux noms – « contemplation » et « regard » – lorsque nous lui avons demandé comment elle porte attention à la biodiversité. Les autres adhérents mentionnent aussi le renseignement préalable à la pratique pour
« minimiser » l’impact (Jean-Christian) et préconisent un comportement actif, qui vise à créer un impact, celui de réparer l’environnement. C’est le cas de Geneviève qui « ramasse ce qu’il y a à ramasser ».
En dérivation de l’habitus bourdieusien, qui n’explore par la composante environnementale, Kasper (2009) développe l’habitus écologique qu’elle définit comme « l’incarnation d’un système durable mais aussi évolutif de dispositions, pratiques, perceptions et conditions matérielles […] façonnées par et qui façonnent des contextes socio-écologiques » 1 . Ce faisant, Kasper intègre les comportements socio-écologiques à la notion d’habitus. Les résultats de notre enquête montrent bien une sensibilité particulière à l’environnement écologique chez nos kayakistes interrogés. Leurs comportements s’en retrouvent modifiés afin de ne pas déranger la faune ou la flore, afin de profiter et d’admirer la beauté de ces non- humains qui les entourent lors de leur pratique.
Un habitus écologique
Environmentally friendly lifestyles
Selon Carfagna et al. (2014), la combinaison d’un capital culturel élevé – capital économique faible peut être reliée à un « environnementally friendly lifesyle », ce qui semble être le cas de nos sujets. Ils ont un point commun, ils pratiquent le kayak de mer en loisir. Quels sont les autres éléments que l’on trouve parmi les résultats des entretiens qui permettent de nous dire si nos sujets ont un « environmentally frindly lifestyle » (Carfagna et al., 2014 ; Holt, 1998 ; Horton, 2003) ? Tout d’abord, Geneviève est une kayakiste qui en plus de se conditions—perceptible as a lifestyle—that is shaped by and helps shape socioecological contexts »
déplacer silencieusement, dans les zones autorisées, fait du ramassage de déchets une habitude et même une ligne de conduite afin de préserver la nature qu’elle chérit. Une certaine habitude qu’elle reproduit seule, ou en groupe, lors d’opérations de ramassage. Cela a pu se développer lors de son enfance lorsque son père, « très sensible à l’environnement » l’emmenait marcher dans les Vosges, ramasser les champignons. Ses sorties sont le plus souvent sur la Mosson, dans un endroit où la présence d’oiseaux est très forte. Elle mentionne aussi un oiseau rare, qu’elle a eu la chance d’observer une fois : le cygne noir. Des sorties dans lesquelles elle porte une grande attention à ne pas empiéter sur les zones de nidification, et les zones où la biodiversité est fragile.
Cathy est une amoureuse de la nature depuis petite où elle allait « jouer aux cowboys dans la nature ». Quoi de plus normal pour elle que de s’intéresser et observer la mer et le ciel. La météorologie, les étoiles, les nuages et bien sûr « la nature et les animaux » ont une place de valeur dans le monde de Cathy. Elle vit une relation étroite avec l’environnement qui l’entoure lors de sa pratique, un facteur d’équilibre personnel, qui est essentiel pour se sentir bien, selon elle, et qui la rend heureuse.
Le troisième sujet dont on peut assurément dire qu’il a un « environmentally friendly lifestyle » (Ibid.) est Jean- Christian. En effet, il pratique plusieurs sports et activités outdoor en plus du kayak comme la marche en randonnée et le vélo. On sent son attachement à l’environnement lorsqu’il nous décrit des « environnements grandioses » et des « plages incroyables » en Norvège, un respect à avoir envers les oiseaux quand il que chacun doit être à sa place et ne pas s’introduire sur certaines zones. Enfin, l’indice le plus fort est son végétarisme qu’il a mis en place afin de limiter au minimum son impact sur la vie des autres êtres vivants.
Parmi les éléments que nous avons recueillis avec l’entretien de Gérard, nous n’avons pas pu déceler d’indice révélant un « environmentally friendly lifestyle » (Ibid.) autre que sa pratique du kayak et son amour pour la mer. Bien qu’il ait « toujours habité le plus près possible de la mer », originaire de Boulogne-sur-Mer, et considérant cela comme une « nécessité », ses réponses sont très factuelles (exemple : sa définition de la biodiversité qui est générale, conforme à la définition de l’Office Francais de la Biodiversité) et il semble considérer l’environnement dans lequel il pratique comme un support, « un plan horizontal sans limite » qui permet la pratique. Il n’est pas non plus intéressé par les voyages et randonnées pour découvrir d’autres environnements de pratique. Nos trois sujets, Geneviève, Cathy, et Jean-Christian correspondent donc aux profils qui, d’après Pelikán et al., possèdent un haut capital culturel comparé à un faible capital économique. Des profils qui sont attirés par la nature environnante, qui font attention à l’autre.
Un goût pour les métiers manuels et les biens tangibles
Carfagna et al. (2014) établissent qu’un capital culturel élevé – capital économique faible peut être reliée à un « mode de vie pro-environnement » 2 , ce qui semble être le cas de nos sujets. Le capital culturel à tendance à être minimisé, ou réduit à un niveau de diplôme atteint comme si, nous obtenons un capital culturel plus élevé en restant plus longtemps en études supérieures (Serre, 2012). Or nos sujets n’ont pas été sur les bancs de l’université pendant tant d’années qu’un doctorant. Pelikán et al. ajoutent à la relation de Carfagna et al. (2014) qu’un habitus écologique à tendance à impliquer des goûts concentrés sur les biens tangibles, sensibles, locaux et sur le travail manuel.
Un sujet qui a un certain goût pour les métiers manuels, et les biens tangibles, c’est bien Gérard. En effet, il a été Technicien à l’équipement pendant une trentaine d’années après avoir passé un BTS Construction mécanique. Une carrière entière dans un métier manuel après un début dans un autre métier manuel, dessinateur de plans. Gérard a aussi passé deux CAP en entretien des installations sanitaires et en entretien des bâtiments collectifs. En plus d’un métier manuel, Gérard a aussi le goût du bricolage. Il intervient régulièrement au Palavas Kayak de Mer pour de l’entretien bénévole et a grandement participé à la construction d’infrastructures pour améliorer la gestion et la vie du club. En nous référant à Pelikán et al., Gérard ferait partie des sujets au capital culturel élevé car ses goûts se concentrent sur des biens plus tangibles, sensibles, locaux et sur le travail manuel. Un travail manuel qui est considéré par Crawford (2009) comme vecteur d’émancipation intellectuelle, contrairement aux emplois dits intellectuels qui ont tendance à oublier la qualité au profit de la quantité. L’émancipation intellectuelle opérée par Gérard lors de ses activités manuelles est un marqueur de capital culturel élevé.
Le second sujet qui correspond au profil établi par Pelikán et al. est Jean-Christian. D’une part, ses hobbies. Il nous a affirmé aimer le bricolage et le travail du bois, le travail manuel. En effet, en tant que moniteur au Palavas Kayak de Mer il anime des sessions pour apprendre à construire une pagaie groenlandaise (les pagaies traditionnelles, en bois, construites par les premiers kayakistes inuit) et d’autres, pour réparer son kayak. D’une autre part, si l’on s’attarde sur les métiers manuels, Jean-Christian n’est pas sans reste. Jean- Christian a grandi à la campagne, dans une ferme, “au milieu des champs et des bois”. Il a donc fait l’expérience quotidienne de la nature dès son plus jeune âge. Après avoir fait les saisons dans les vignes, été dans la restauration, et dans l’accueil du public dans un musée vivant, il a été tatoueur dans son salon de tatouage pendant dix ans. Sans oublier qu’il est actuellement moniteur de kayak.
Tous nos sujets semblent posséder un capital culturel élevé en comparaison d’un capital économique moins marqué. Même si nos sujets n’ont pas un capital culturel « incorporé » (Serre, 2012), encore eut-il fallu étudier et questionner plus en profondeur leur ascendance, ils ont cependant un capital culturel acquis, non pas au moyen des études, mais par leur mode de vie, et leurs passions. Sachant cela, nous allons tenter d’analyser les différents comportements, influencés ou non par la biodiversité aquatique.
Des comportements variés
Contempler
La contemplation. Comment ne pas adopter ce comportement quand s’offrent devant nous des paysages tels que les lagunes palavasiennes au coucher du soleil, des animaux mythiques tels que des flamants roses qui s’envolent ou encore l’eau qui s’étend à perte de vue, à l’horizon. La contemplation est évoquée par Cathy. Elle utilise le champ sémantique de la vision, indique un regard posé sur les oiseaux : « les flamants roses, les cormorans je les adore, les canards ». La contemplation est là un comportement induit par la biodiversité aquatique mais n’est pas le signe d’une influence de celle-ci sur la pratique du kayakiste. En effet, chacun peut être émerveillé par ce qu’il voit lorsqu’il se balade en kayak, sans pour autant y être sensibilisé et comprendre que ses agissements peuvent avoir un impact sur le théâtre de sa pratique. Nous pouvons décider de définir ce comportement comme passif. On retrouve à travers ce comportement la notion d’un « enchantement du monde » de Passavant (2004). Nous avions mentionné précédemment que ce sentiment pouvait apparaitre sur notre kayak lors de balades en mer ou sur les étangs. Il semble en effet que ce soit possible et même que cela arrive régulièrement pour Cathy par exemple ou Jean-Christian lorsqu’il traverse des « environnements grandioses » à la pointe du Raz en Bretagne ou entre les glaciers au Groënland. Elle avait mentionné sa contemplation du milieu, sa sensation de liberté et la possibilité de respirer. Elle ajoute « la mer on doit la respecter, c’est du domaine du sacré ». Cela correspond aux « symptômes » de l’enchantement du monde décrits par Perrin-Malterre (2007), qu’elle décrit comme un « émerveillement devant les beautés du monde, un sentiment d’exaltation et de quiétude intérieur suivi d’élans d’affection ».
Réparer
Enfin, Geneviève adopte un comportement de réparation de l’environnement dans lequel elle pratique. Ce comportement n’est pas nécessairement influencé par la présence de biodiversité aquatique mais Geneviève évoque la pollution et le manque de nourriture comme des causes de diminution de des populations d’animaux présents sur les étangs et la Mosson. Elle évoque l’impact direct et indirect de l’Homme et tente donc de contribuer modestement, lors de ses sorties personnelles et les événements organisés par des associations et les ONG, à l’amélioration des conditions de vie de la biodiversité aquatique. Plus généralement, le ramassage de déchets est une pratique répandue dans les groupes de kayakistes car ils considèrent la biodiversité comme une entité à préserver, l’eau comme un milieu à nettoyer si possible. Elle ajoute même que les impacts du kayakiste sont inhérents à son comportement et non à l’exercice en lui-même. Il suffit donc, conclue-t-elle, de le sensibiliser et de lui apprendre les bonnes pratiques.
Eviter
C’est peut-être le comportement le plus compliqué à mettre en place. Il nécessite une certaine sensibilisation et d’être au fait sur l’existence de zones interdites et de périodes pendant lesquelles on ne peut pas naviguer n’importe où. C’est donc le comportement qui requiert le plus fort investissement, synonyme de forte influence de la biodiversité aquatique sur la pratique de nos sujets. Ce comportement est adopté par nos quatre sujets. Cathy nous dit éviter les endroits pollués sur le canal du Rhône à Sète. Il nous apparait alors que le comportement d’évitement peut aussi apparaître pour un confort personnel, plus que motivé par la biodiversité aquatique. Gérard connait très bien les problématiques liées aux zones protégées, aux périodes durant lesquelles la nidification à lieu. Il a révisé un document territorial indiquant toutes les espèces présentes dans les étangs palavasiens, mais ne manifeste pas lors de l’entretien, d’intention d’éviter. Cela nous pose la question de l’intensité de l’engagement, et de ses limites. Les déclarations de nos sujets pendant les entretiens ne sont pas soumises à un contrôle par une personne tierce. Ainsi, il se peut que les comportements dont ils font part soient exagérés inconsciemment ou consciemment lors de l’entretien. Il rappelle cependant que l’on ne doit pas « avoir d’impact sur l’environnement dans lequel on navigue ». Enfin, les sujets Geneviève et Jean-Christian sont ceux qui insistent sur le fait qu’il faut se renseigner sur les zones autorisées, sur les écosystèmes, afin de faire attention aux périodes de nidification. Ce sont les deux sujets qui semblent le plus investis sur le comportement d’évitement.
L’exposition primordiale à la nature
Afin de comprendre dans quelle mesure les comportements socio-écologiques traduisent un habitus écologique chez les kayakistes, nous avions formulé l’hypothèse que les kayakistes ayant un fort capital culturel développement un comportement socio-écologique d’avantage prégnant que les individus avec un capital culturel moins marqué. Nous avons vu qu’il est possible dans un premier temps de développer un capital culturel par acquisition, lors de nos passe- temps, pendant la pratique du métier ou par notre mode de vie en général. En interrogeant les ascendants et autres liens familiaux de nos sujets, nous aurions pu explorer la transmission ou non d’un capital culturel inné. De plus, les différents comportements décrits lors de nos entretiens peuvent être limités par la démarcation territoriale de la pratique de nos kayakistes, qui évoluent majoritairement sur les mêmes étangs, la même rivière et la même portion de littoral. Ces comportements, bien que partagés par nos adhérents peuvent ne pas traduire une tendance générale des kayakistes de France, ou même du club. En effet, d’autres comportements sont possibles comme la non modification par omission, la non modification car non intérêt, ou encore la dégradation volontaire par manque de connaissances du milieu. D’autres pratique du kayak comme celle en bassin artificiel, en rivière, ou de compétition entraineront d’autres comportements que les kayakistes évoluant dans une zone réglementée pour le loisir.
« Les gens qui se sentent concernés protègent ; ceux qui ne savent pas ne se sentent pas concerné » (Pyle, 2016). L’aliénation personnelle des humains par rapport à la nature est selon Pyle (ibid.) ce qui conduit à la crise écologique. Il dénonce « l’extinction de l’expérience » (ibid.) de la nature, par la disparition d’espèces locales, ou la superficialité des contacts avec elle. Ainsi, afin d’inciter les comportements envers la nature à s’améliorer, les auteurs insistent sur l’importance de la conscientisation ou « critical consciousness » (Alexander et al., 2022). L’expérience profonde de la nature, même mauvaise est associée à des « comportements et attitudes plus positive envers celle-ci »3 (DeVill et al., 2021), résultat d’une connexion créée, d’un apprentissage en cours.
Il apparait donc important d’aider les citoyens à reconnecter à la nature pour envisager un monde durable. C’est ce que propose le Palavas Kayak de Mer à ses adhérents, et aux touristes et scolaires, leur permettant la navigation dans les lagunes palavasiennes, et la sensibilisation aux écosystèmes par les moniteurs. Une démarche permise et encouragée par le syndicat du bassin du lez, laissant droit de passage aux kayakistes du club sur une zone labellisée Natura 2000 interdite aux plaisanciers.
Bibliographie
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1 Proposition de traduction pour : « the embodiment of a durable yet changeable system of ecologically relevant dispositions, practices, perceptions, and material
2 Notre proposition de traduction pour « environmentally friendly lifesyle »
3 Notre proposition de traduction pour : « more positive attitudes towards nature »